Si tu es en khâgne B/L, tu seras confronté·e à des épreuves orales ou écrites de SES. Tu devras mobiliser des références précises en sociologie et en économie pour illustrer et justifier ton propos. Comprendre et connaître les recherches de Gaële Henri-Panabière te sera utile pour faire face à un sujet sur la reproduction sociale familiale et/ou scolaire. Apprends-en plus sur Des « héritiers » en échec scolaire grâce à cette fiche !
Introduction : la reproduction, une notion fondamentale en sociologie de la famille
Avant de nous pencher plus en détail sur le livre de Gaële Henri-Panabière, quelques rappels s’imposent. Si tu suis des cours de SES, tu dois impérativement maîtriser le concept de « reproduction ». Il est omniprésent en sociologie et revient dans certaines notions d’économie.
À l’origine : Bourdieu et Passeron
La reproduction désigne les modalités de perpétuation d’un ordre social hiérarchisé d’une génération à l’autre. On l’étudie beaucoup, notamment dans le cadre de la sociologie de la famille. Le concept émerge grâce à plusieurs ouvrages de Bourdieu et Passeron.
Dans Les Héritiers (1964) et La Reproduction (1970), ils proposent un nouveau modèle de reproduction sociale. L’institution scolaire concurrence l’institution familiale. En famille, les élèves reçoivent des ressources culturelles déterminantes pour la hiérarchie de l’espace social. C’est le capital culturel.
L’école valorise ce capital à travers des évaluations et des diplômes. Les étudiants de milieux sociaux privilégiés héritent donc de ressources culturelles, dont l’école vient acter et sanctionner la transmission. La théorie développée dans Les Héritiers remet en cause l’idéologie du mérite ou du don. Un élève ne réussit pas ses études uniquement parce qu’il est doué ou bourreau de travail. Le milieu familial d’origine a un poids déterminant.
Une transmission automatique ?
Dans la lignée de la théorie bourdieusienne, d’autres sociologues théorisent la reproduction sociale familiale. C’est le cas de François de Singly qui défend l’idée d’un capital culturel dominant. Si le capital économique a valu beaucoup par le passé (héritage, transmission de terres, etc.), le capital culturel serait à présent le plus précieux dans le contexte des sociétés occidentales tertiarisées et essentiellement urbaines.
Dans les années 1980 et au début des années 1990, la transmission du capital culturel semble automatique. Du fait des échanges interpersonnels intrafamiliaux, les ressources culturelles s’incorporent naturellement dans la personne. En parlant avec eux, en leur faisant lire des livres ou en les aidant pour les devoirs, les parents vont transmettre naturellement le capital culturel à leurs enfants.
On nuance cette approche plus tard dans les années 1990. Dans Tableaux de famille (1995), Bernard Lahire étudie les situations de réussite scolaire dans les milieux populaires. Il enquête à cheval entre la famille et l’école. L’étude des facteurs microsociaux lui permet de prouver leur importance dans la réussite ou l’échec scolaire.
La présence d’une mère au foyer ou le rapport à l’écrit dans la famille (pratique de la lecture par exemple) peuvent favoriser la réussite de l’enfant. La situation des familles où l’autorité habitue les enfants à la contrainte et à l’ascèse peut expliquer leur capacité à se soumettre à l’autorité scolaire.
Présentation de l’ouvrage et de son autrice
Gaële Henri-Panabière est maîtresse de conférences en sciences et sociologie de l’éducation. Elle est spécialisée dans les rapports entre socialisation familiale et scolaire. En 2010, elle publie Des « héritiers » en échec scolaire.
Comme tu peux t’en douter, le terme « héritiers » est une référence directe à la sociologie bourdieusienne. Gaële Henri-Panabière se penche sur le cas des « méshéritiers ». Les enfants nés dans des milieux culturellement dotés et qui sont pourtant en difficulté scolaire.
Par ailleurs, son travail n’est pas sans rappeler celui de Lahire, puisqu’elle étudie les échanges interpersonnels et les facteurs microsociaux. On peut également rapprocher sa démarche de la sociologie de l’improbable et de travaux comme ceux de Jean-Paul Laurens ou Alice Davaillon, qui ont étudié la réussite scolaire d’élèves issus de familles moins dotées culturellement.
Première partie du livre : interroger la composition du patrimoine familial qui peut être hétérogène ou pluriel
Dans la première partie du livre, Gaële Henri-Panabière cherche à dépasser les simples classifications par diplôme. À niveau égal, le patrimoine familial peut varier du tout au tout. En clair, deux personnes avec un bac+5 peuvent avoir un profil et une histoire familiale totalement différents. Il faut donc se pencher sur les trajectoires et les caractéristiques sociales. Elles laissent apparaître des patrimoines familiaux expliquant parfois les difficultés des « méshéritiers ».
La position sociale des parents peut être à l’origine de patrimoines familiaux hétérogènes
Pour un même métier, le capital scolaire du parent n’est pas forcément le même. Gaële Henri-Panabière cite le cas d’Olivier, dont la mère est « surdiplômée ». Son fils n’a pas intériorisé la nécessité et le sens des efforts scolaires puisqu’ils n’ont pas de répercussion sur le métier d’un de ses parents.
On peut également questionner la mixité scolaire des parents, dont l’un peut-être très diplômé et l’autre pas. Dans ce cas, les collégiens peuvent être davantage exposés aux « difficultés scolaires », surtout quand leur mère est moins diplômée. On observe alors souvent un « alignement sur la mère », car celle-ci est souvent plus impliquée dans la scolarité.
La question de la trajectoire sociale
Il semble que l’ancienneté du capital scolaire en favorise la transmission, d’après les statistiques recueillies par Gaële Henri-Panabière. Cela peut s’expliquer d’une part parce qu’il est plus difficile de transmettre des dispositions scolairement rentables à ses enfants quand on n’a pas soi-même hérité de la manière de faire au sein de sa propre famille.
En clair, un élève A peut avoir réussi brillamment ses études en raison de bonnes dispositions pour les maths. Pour autant, jamais ses parents ne l’ont aidé à réviser. Ils ne lui ont donc pas appris comment faire pour transmettre de bonnes dispositions à son enfant. C’est pourquoi son fils ou sa fille aura peut-être des difficultés en maths quand bien même l’élève A était lui-même fort dans cette matière.
Gaële Henri-Panabière souligne par ailleurs que de nombreux parents de méshéritiers éduquent leurs enfants en opposition aux méthodes employées par leurs propres parents, même quand celles-ci pouvaient s’avérer scolairement rentables.
Le poids de l’expérience scolaire des parents
L’expérience scolaire peut conduire à la transmission d’un patrimoine scolairement défavorable, notamment quand les parents ont eu un parcours scolaire laborieux. À diplôme égal, des parents peuvent avoir des rapports très différents à l’institution scolaire (devoirs, notes, etc.) ou avoir rencontré des difficultés à l’école.
On observe notamment un certain nombre de similitudes entre parents et enfants, que cela soit dans les difficultés dans certaines matières ou dans les redoublements. On peut l’expliquer parce que la transmission de certaines compétences scolaires est parasitée par les faibles aptitudes des parents (un parent mauvais en maths aura plus de mal à aider ses enfants) ou lorsqu’il n’y a pas d’appétence, voire un dégoût, pour une matière (le père d’Armande déclare devant sa fille n’avoir jamais aimé les maths).
Deuxième partie du livre : analyse des conditions matérielles et symboliques dans lesquelles le patrimoine culturel se transmet (ou pas)
Comme tu l’as vu, la transmission du capital culturel est loin d’être automatique. Elle dépend des conditions de socialisation et des interactions familiales. Gaële Henri-Panabière se penche sur ce point dans la deuxième partie de son livre.
Emplois du temps et biographies familiales
Pour que les parents transmettent un « patrimoine dispositionnel » sur lequel les héritiers vont se fonder pour construire leurs propres dispositions (comportements et relations), il faut que l’exposition de l’héritier au patrimoine soit régulière et durable (ce qui s’étudie par les emplois du temps et les biographies familiales).
Il ressort qu’une plus grande présence des parents représente une plus grande opportunité de transmission du patrimoine dispositionnel. Elle permet par ailleurs une meilleure régulation des activités enfantines (scolaires ou non), laquelle permet l’héritage de dispositions planificatrices scolairement valorisées à l’école.
Une moindre présence parentale peut parasiter la transmission des dispositions scolaires. À cause d’un divorce, d’une reprise d’activité professionnelle ou simplement parce que l’investissement parental dans les apprentissages des aînés est plus grand, on peut observer des écarts de réussite entre membres d’une même fratrie. Cette captation différentielle de l’héritage culturel montre que sa transmission ne va pas de soi et relève de conditions matérielles.
L’importance des processus d’identification
Selon Gaële Henri-Panabière, ils conditionnent la transmission des dispositions parentales. Tout d’abord, l’identification produit des assignations identitaires plus ou moins conformes aux attentes scolaires.
Elles sont souvent sexuées et conduisent dans certains cas à des contraintes et des attentes différenciées. Une fille a des difficultés, mais n’est pas responsable parce que « travailleuse ». Un garçon est en échec parce que naturellement plus « agité » ou « paresseux ». Dans d’autres cas, les assignations identitaires conduisent à des transmissions différenciées de certaines activités. Ainsi, les pratiques de l’écrit sont plus fréquentes entre mère et fille qu’entre mère et fils.
Il existe aussi des « assignations à ressemblance ». Un lien de ressemblance parent-enfant consolide la transmission de traits familiaux qu’ils soient scolairement rentables ou non. Quand il s’agit de difficultés scolaires, alors même que ces dernières relèvent de dispositions construites en rapport étroit avec les dispositions parentales, elles font souvent l’objet d’une conception naturalisante qui vient les renforcer et, dans certains cas, les légitimer au sein du cadre familial.
Par ailleurs, ces identifications sont révélatrices des relations dans la famille, des affinités et des pratiques partagées entre les parents et les enfants. Elles permettent d’expliquer une captation différentielle des dispositions parentales par les enfants. Mme Chabert partage énormément d’activités avec sa fille Marjorie, leur relation étant fondée sur un « sentiment de reconnaissance-ressemblance ». Mme Chabert est plus éloignée de son fils Sébastien, qui ne se voit pas transmettre les dispositions conformes aux attentes scolaires dont sa sœur a quant à elle hérité.
Conclusion
La transmission du capital culturel ne va pas de soi. Elle peut être perturbée, voire empêchée, pour bien des raisons qui prouvent que la reproduction sociale n’est pas acquise.
Il ne faut pas pour autant envoyer valser toute la sociologie bourdieusienne ! Il importe simplement de nuancer son propos et ne pas sombrer dans un déterminisme hâtif. Certes, l’immense majorité des enfants issus de milieux favorisés sont des « héritiers ». Pour autant, leur nombre ne doit pas faire oublier l’existence de « méshéritiers ».
N’hésite pas à mobiliser les recherches de Gaële Henri-Panabière dans ta copie au concours ou lors d’une colle. Elles peuvent te permettre de préciser les notions bourdieusiennes de reproduction et d’héritier et de gagner en profondeur et en précision. Ces détails peuvent vraiment te permettre de faire la différence le jour J !
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