travail

La nécessité, voilà un caractère inconfortable qui souvent réduit l’homme à l’état de chose. Dès lors, lorsque le travail se fait nécessité, quid de la liberté ?

Dans cet article, Major-Prépa te propose d’approfondir tes connaissances et tes références sur les conséquences du travail lorsque ce dernier se fait obligation pour l’homme. 

Esquisse de la notion de soumission au travail 

« Il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. » Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, 1942

« Le travail des laboureurs revient toujours en cercle » , nous écrit Virgile dans ses Géorgiques. Et pour cause, toujours soumis à la volonté de mère Nature, le travailleur fait figure de pion soumis à des champs d’influences le dépassant. Il y a donc dans le travail une force qui contraint l’homme à toujours obéir à une volonté autre, jusqu’à parfois faire de l’être « une chose livrée à la volonté d’autrui », selon Simone Weil.

Dès lors, par l’emploi du terme « chose », la philosophe française met en avant la potentielle perte d’humanité du travailleur, qui n’est malheureusement pas sans rappeler la condition des esclaves de la traite négrière et du commerce triangulaire du XVIᵉ siècle. C’est cette aliénation des esclaves, privés de moyens de penser, que décrit Simone Weil : « Cette absence de pensée indispensable aux esclaves de la machine moderne. »

Le travail semble mener à la servitude volontaire 

« Il n’y a pas de dignité possible, pas de vie réelle pour un homme qui travaille douze heures par jour sans savoir pourquoi il travaille. » André Malraux, La Condition humaine

Du latin tripalium (instrument de torture), le sens étymologique du travail semble irrémédiablement refaire surface lorsque ce dernier se voit exécuté à cause d’un besoin et non en vue d’un bien. Et pour cause, décrivant la condition ouvrière des années 1930, Simone Weil regrette, dans Conditions premières d’un travail non servile, « qu’il y a dans le travail des mains et en général dans le travail d’exécution, qui est le travail proprement dit, un élément irréductible de servitude que même une parfaite équité sociale n’effacerait pas. C’est le fait qu’il est gouverné par la nécessité, non par la finalité. »

Faire effort seulement pour vivre 

Selon la philosophe française, ce type de travail, gouverné par les fins et parfois par la faim, « a une ressemblance avec l’esclavagisme », en ce sens que « l’on fait effort seulement pour vivre ». L’homme, condamné à osciller comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui, c’est-à-dire du travail au repos, ne peut dès lors s’extraire de cet infernal roulis : « On travaille seulement parce que l’on a besoin de manger. Mais on mange pour pouvoir continuer à travailler. Et de nouveau on travaille pour manger. » C’est ainsi que s’enlacent le nécessaire et l’inévitable, faisant du travailleur un « homme machine » déshumanisé.

Effectivement, comme le décrit Virgile dans ses Géorgiques : « La terre qui n’est point labourée ne laisse pas d’être généreuse (I), l’agriculteur, devenu valétudinaire, est sans cesse soumis aux désirs et caprices de la nature et au Dieu puissant […] qui dans sa marche féconde [décide] les beaux jours et les jours pluvieux. »

Se soumettre au maître de notre existence 

C’est ainsi que le travail peut se faire maître de nos existences. Lorsque Passemar évoque l’augmentation du taux de mortalité « au moment du départ à la retraite », le chef du service administration des ventes fait ici le constat de la pleine soumission du travailleur à son emploi, ne trouvant de sens et de conscience que dans l’unique exercice de sa profession. Il n’est à ce titre pas anodin de remarquer l’attaque cardiaque de Madame Bachevski après sa mise en retraite anticipée.

Si tu souhaites nuancer cette vision, tu peux notamment aller voir Le travail comme créateur de joie et de fierté ou encore Le travail comme réalisation de soi.

Boîte à citations pour illustrer comment le travail semble volontairement conduire l’homme à la servitude

Virgile, Les Géorgiques

Le travail se fait le tragique reflet d’un monde gouverné par la cruauté divine : « Le laboureur s’en va, tout triste, dételer l’autre bœuf affligé de la mort de son frère et laisse sa charrue enfoncée au milieu du sillon. » (III) Épisode de l’épidémie. « Déjà la Furie abat les animaux par bandes, et entasse, dans les étables mêmes, les cadavres décomposés par une affreuse pourriture. » (III)

Le travailleur est condamné par « le besoin pressant » (II) de la nécessité : « Le travail des laboureurs revient toujours en cercle. »

Simone Weil, La Condition ouvrière 

Dans ses Trois lettres à Albertine Thévenon, la philosophe raconte les conditions inhumaines du travail en usine : « Chaque effort en plus de ceux qui me sont imposés me coûte […]. C’est inhumain ! » « L’impitoyable loi du rendement pèse sur vos chefs comme sur vous. »

Le travail mène l’être à la déréliction : « [L’ouvrier] est condamné à traverser le temps, avec peine, minute après minute. » « À l’usine, vous êtes là seulement pour exécuter les consignes. » « L’omniprésence du sentiment d’infériorité intellectuelle écrase l’ouvrier. »

Dans sa Lettre à Simone Gibert, elle fait de l’usine une « dictature de la peur » : « On vit à l’usine dans une subordination perpétuelle et humiliante toujours aux ordres du chef. » « L’effroi me saisit en constatant la dépendance où je me trouve. » (Simon Weil parlant de son expérience à l’usine).

Michel Vinaver, Par-Dessus bord

Le travail semble discriminer et instaurer une indubitable soumission. Ce que traduit la remarque d’un employé de Ravoire et Dehaze : « Qu’ils cherchent à nous exploiter c’est normal c’est leur rôle qu’est-ce que tu ferais si t’avais le pognon ? »

Le travailleur est inexorablement réifié par son action ; lors de la fête de l’entreprise, Passemar, « cadre moyen » selon ses propres mots, dresse cet amer constat.

In fine, face à un travail déshumanisant, l’homme semble réduit à une soumission morbide et fatale. Dès lors, peut-être revient-il au travailleur de faire de son activité un véritable moyen pour donner un sens et ainsi s’inscrire dans un cheminement vertueux et constructif.