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Ça y est ! Le programme du concours de l’ENS 2024 est tombé pour les khâgnes A/L et LSH ! Pour réussir ta dissertation de lettres, tu devras maîtriser non seulement les œuvres, mais aussi les thèmes au programme. Aujourd’hui, nous te proposons d’en apprendre plus sur l’un d’eux : « Littérature et morale ». Impossible de faire l’impasse dessus, il est susceptible de tomber le jour du concours…

Notre article te permettra d’être incollable sur le sujet et de briller le jour J ! Nous nous appuierons notamment sur des exemples mentionnés dans Clefs Concours d’Atlande pour le programme 2021 de lettres, qui portait également sur la littérature et la morale.

Petit rappel des termes

Comment définir la morale ?

On peut s’appuyer sur Le Littré qui la présente comme « l’ensemble des règles qui doivent diriger l’activité libre de l’homme ». Ces règles se diviseraient en deux parties : « démontrer que l’homme a des devoirs, des obligations » et « faire connaître ces devoirs, ces obligations ». La morale peut donc être définie comme l’étude de l’action humaine soumise au devoir et ayant pour but le bien. Pour le dire plus rapidement, la morale est la science du bien et du mal.

Mais attention : parler de la morale comme d’une science, ce n’est pas sous-entendre qu’il existe une morale unique et universelle. Les écrits du sociologue Émile Durkheim ont démontré que la morale varie d’une société à l’autre. Elle dépend des conditions de vie et de l’histoire des différents peuples. Si, comme l’affirme le philosophe Éric Weil, on peut dire qu’il existe une science du bien et du mal dans chaque société, il ressort qu’il existe presque autant de morales qu’il existe de peuples.

Peut-on dépasser la morale ?

Plusieurs auteurs et penseurs ont remis en cause la morale. On peut citer Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal (1886) ou Généalogie de la morale (1887). Il y évoque la possibilité que la morale ne soit qu’un moyen de soumettre l’homme dans l’ignorance, la culpabilité et la faiblesse. Nietzsche pointe par exemple du doigt les situations où le plus fort et puissant pourrait être poussé à se soumettre au plus faible au nom de la morale.

On peut ici parler d’immoralisme. Il y a un désir de dépasser la dualité moralité/immoralité. Il ne faut pas confondre l’immoralisme avec l’amoralité. Cette dernière désigne une philosophie de vie étrangère à la morale. Néanmoins, ce terme peut sembler problématique, puisqu’on peut douter que l’homme ait été affranchi à un moment de référents moraux. De là l’intérêt de parler d’immoralisme pour parler d’une volonté de dépasser ces référents nécessairement acquis.

Parmi les auteurs critiques de la morale, il y a aussi Freud qui déplore son effet délétère sur la psyché humaine. Selon lui, la morale alimenterait le surmoi et inciterait au refoulement de pulsions. La théorie freudienne affirme que ces dernières finissent toujours par ressurgir lors du retour du refoulé.

Ces allers et retours entre moralisme et immoralisme se retrouvent aussi dans le monde des lettres. Certains auteurs et théoriciens défendant la nécessité d’une moralité de la littérature. D’autres appellent au contraire à s’émanciper des référents moraux.

Le XVIIᵉ siècle : l’âge d’or de la littérature morale ?

Des passions jugées dangereuses

Au XVIIᵉ siècle paraissent de nombreux textes qui critiquent le manque de bienséance de certaines œuvres. Dans ses Pensées (1670), Pascal étrille le théâtre qu’il juge contraire à la moralité. Même lorsqu’il se veut bienséant, il reste, selon le philosophe moraliste, « une représentation si naturelle et si délicate des passions qu’elle les émeut et les fait naître dans le cœur ». En clair, Phèdre de Racine a beau respecter les règles du théâtre classique, elle donne malgré tout à voir les émotions violentes des personnages et aurait donc une mauvaise influence sur les spectateurs.

Les moralistes du XVIIᵉ siècle ne sont pas plus tendres avec le roman qui apparaît alors en France. Le janséniste Pierre Nicole le met sur le même plan que la comédie. Il écrit : « Non seulement la comédie et le roman rendent l’esprit mal disposé pour les actions de religion et de piété, mais ils dégoûtent en quelque manière de toutes les actions sérieuses et ordinaires. » Derrière cet argumentaire, l’idée que le roman alimente les délires des lecteurs idéalistes. On peut penser à Don Quichotte qui est déconnecté du réel parce qu’abreuvé de romans de chevalerie.

Les romans rabelaisiens, picaresques (XVIᵉ siècle) et burlesques (XVIIᵉ siècle) sont jugés sulfureux et ont évidemment mauvaise réputation. Fait plus étonnant, la veine idéaliste du roman est elle aussi critiquée. L’Astrée d’Honoré d’Urfé est par exemple critiquée parce que jugée frivole, peu crédible et proposant une sublimation écervelée du réel.

Des auteurs en quête d’émancipation

Certains écrivains du « Grand Siècle » cherchent à échapper à la censure qui touche le milieu littéraire. On peut citer le cas du Tartuffe de Molière dont Louis XIV interdit la représentation publique en 1664. D’après les gazetiers de l’époque, la pièce avait pourtant remporté un vif succès lors de sa présentation au public. Le roi lui-même l’a appréciée, pourtant, il se résout à l’interdire en raison de l’image qu’elle donne des hommes d’Église.

Ainsi, durant toute sa carrière de dramaturge, Molière doit composer avec la menace de la censure. Pour justifier son œuvre, il insiste très fréquemment sur sa devise : « Castigat ridendo mores ». On peut la traduire par : « La comédie corrige les mœurs par le rire. » Représenter les vices humains permettrait en réalité au public de s’élever.

Un argument peu éloigné de celui de Jean de la Fontaine, lui aussi inquiet des réactions suscitées par son recueil de Fables (parues entre 1668 et 1694)Réévoquant Horace, respecté par les moralistes enclins à la censure, le poète fait sienne la devise « placere et docere ». Le fabuliste « plaît » au public et l’amuse par ses fables qui pointent des défauts humains pour mieux « enseigner » la morale au public. La Fontaine affirme que son recueil « répand insensiblement dans une âme les semences de la vertu et lui apprend à se reconnaître sans qu’elle s’aperçoive de cette étude ».

On l’a vu, les tragédiens qui respectent les règles aristotéliciennes du théâtre classique sont eux aussi exposés à la critique et à la censure. Ils cherchent à légitimer leurs œuvres et leur travail dans des préfaces où ils détaillent leurs intentions au moment de l’écriture. Il s’agit de montrer patte blanche pour ne pas déplaire aux défenseurs de la morale. On peut citer la préface de Phèdre (1677) de Racine, où l’auteur légitime l’honnêteté de son théâtre qu’il érige, au nom de la catharsis, comme une « école de la morale ».

Le XVIIIᵉ siècle : le cœur comme guide

Tu l’as compris, le XVIIᵉ siècle mettait en garde les écrivains et le public contre les passions dangereuses. Dans une certaine mesure, on peut dire que le XVIIIᵉ siècle les réhabilite. Dans ses Pensées philosophiques (1746), Denis Diderot bat en brèche la pensée dominante lors du « Grand Siècle ». Il écrit : « On déclame sans fin contre les passions ; on leur impute toutes les peines de l’homme, et l’on oublie qu’elles sont aussi la source de tous les plaisirs. […] Sans elles, plus de sublime, soit dans les mœurs, soit dans les ouvrages. »

Les philosophes n’hésitent plus à valoriser les passions. Dans Émile ou De l’éducation (1762), Rousseau décrit la naissance spontanée du « premier sentiment de l’injustice » dans le « jeune cœur » de l’enfant. Tout comme Diderot, il assure que le cœur ne se trompe jamais et que les passions sont l’expression de qualités humaines. Elles sont un élan spontané de l’être vers le bien et la morale.

Ces réflexions se reflètent dans la production romanesque. Ainsi, Rousseau dans Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761) cherche à unir bonheur, passion et vertu. Chez ses personnages, la passion intense s’allie sans problème à la vertu. La question morale reste au cœur du roman qui n’hésite pas à interroger les valeurs du siècle. Dans Manon Lescaut (1731), l’abbé Prévost montre que l’amour sincère et innocent peut conduire les personnages au désespoir et à la faute. Ce type d’amour impossible et pur qui mène au drame est au cœur de nombreuses intrigues. On le retrouve ailleurs en Europe, par exemple dans Les Souffrances du jeune Werther (1774) de Goethe, dont le héros se suicide.

Certaines œuvres assument déjà leur détachement de la morale et s’attaquent plus violemment aux valeurs de l’époque. On peut citer les romans du libertinage galant, dont les personnages aux mœurs plus que libérées dénoncent l’hypocrisie sociale de la haute société. Les mondains préoccupés par les apparences et la réputation sont loin d’être exemplaires dans leur chambre à coucher. C’est au XVIIIᵉ siècle que paraissent Les Liaisons dangereuses de Laclos (1782) ou les romans du marquis de Sade.

Vers un détachement de la morale ?

Au XIXᵉ siècle : la priorité au réel ?

À partir du XIXᵉ siècle, les auteurs semblent de plus en plus émancipés des carcans moraux. Les romanciers sont nombreux à mettre en avant une exigence réaliste de la littérature. C’est la responsabilité de l’auteur de représenter l’immoralité du monde dont il ne peut être tenu responsable. Un raisonnement qu’on peut retrouver dans Le Rouge et le Noir (1830), où Stendhal compare le roman à un miroir promené le long d’une route. Ce dernier reflète tant le ciel que la fange ou la boue. Cependant, on ne peut accuser ni l’homme qui tient le miroir ni le miroir lui-même d’être responsable de la boue.

Cette démarche se retrouve aussi chez Balzac, qui affirme son ambition de raconter « l’histoire des mœurs » dans son Avant-propos de La Comédie humaine. Cette recherche du réel est poussée à son paroxysme par le naturalisme zolien qui appréhende le roman comme une expérience scientifique. Difficile dès lors d’interférer avec l’intrigue au nom de valeurs morales.

Ces justifications ne convainquent pas une partie de la société du Second Empire. Le pouvoir en place estime que l’immoralité suscite une fascination tout sauf saine et désintéressée. En 1857, Madame Bovary de Flaubert et Les Fleurs du mal de Baudelaire sont tous les deux accusés d’« outrage à la morale publique ». Dans ses réquisitoires, l’avocat impérial attribue à la littérature un pouvoir de subversion. Son rôle serait au contraire d’élever l’esprit et d’épurer les mœurs.

L’art pour l’art

Cette censure ne dissuade pas les auteurs de se détacher de la morale. Le mouvement parnassien mené notamment par Théophile Gautier affirme que la littérature ne vaut que pour elle-même et n’a pas à servir d’idéal moral. On parle d’« art pour l’art » et on laisse les impératifs moraux de côté. Le terme autotélisme est parfois employé pour défendre l’idée que la littérature n’a pas d’autre but qu’elle-même.

On peut faire des liens entre ce courant littéraire et celui du Nouveau Roman au XXᵉ siècle. Jean Ricardou, qui l’a théorisé, estime qu’il se focalise sur « l’aventure de l’écriture » et pas sur des objectifs tiers. Cette approche a été critiquée par Todorov en 2007 dans La Littérature en péril, qui fustige l’autotélisme (activité entreprise sans autre but qu’elle-même). La littérature offre aussi une « compréhension élargie du monde » qu’il ne faut pas oublier.

Immoralisme ou hypermorale ?

Depuis le XIXᵉ siècle, on peut voir des auteurs braver volontairement et ostensiblement les valeurs morales. C’est le cas de Paul Verlaine dans Romances sans paroles (1874), où il est par exemple question d’homosexualité alors que le thème était très tabou à l’époque.

On peut aussi citer le cas des Fleurs du mal baudelairiennes (1857). Dans Au lecteur qui ouvre le recueil, Baudelaire établit une communauté d’esprit entre le poète et le lecteur, tous deux fascinés par le répugnant et le mauvais. Mais cette exploration du mal ne nécessite-t-elle pas une très bonne connaissance de catégories morales pour apprécier leur transgression ? Baudelaire ne serait-il pas en réalité loin de l’amoralisme en faisant montre d’une connaissance aiguë des normes morales ?

C’est la question que soulève Georges Bataille au sujet de la littérature, fasciné par le mal et dont l’intérêt tourne autour des interdits majeurs de l’Occident. Dans La Littérature et le Mal (1957), il défend l’idée que pour produire une œuvre provocante, les auteurs doivent connaître précisément les normes. Bataille affirme que les écrivains transgressifs franchissent une limite qu’ils connaissent parfaitement et se savent donc coupables de faire voir l’immoralité. En cela, ils font preuve d’une hypermorale. L’immoralité n’est qu’un masque. Loin d’être déconnectés de la vertu, les auteurs la sapent volontairement et fondent leur ethos auctorial sur cette transgression.

Tu en sais à présent davantage sur la question de la littérature et de la morale. N’hésite pas à retenir et à approfondir les références et les concepts évoqués dans cet article. Tu pourras les mobiliser le jour du concours pour réussir ta dissertation de littérature. Quand tu liras ou reliras les œuvres au programme durant ton année de khâgne, n’hésite pas à les analyser au prisme des théories que nous avons évoquées ici et de te rendre régulièrement dans notre rubrique destinée aux prépas littéraires juste ici !

Bon courage !