On le sait, le plus important dans toute dissertation repose d’abord sur le plan et le développement du raisonnement. Notamment en A/L, le risque est grand de se concentrer uniquement sur l’apprentissage des citations issues des œuvres au programme et de négliger l’importance de l’accroche. Si elle peut sembler superficielle, il s’agit de la première impression donnée au correcteur. Elle permet souvent d’évaluer la compréhension et la qualité d’analyse du sujet par l’élève.
Le but est autant de légitimer la pensée de l’auteur de la citation étudiée en la rapprochant d’un autre que déjà d’interroger la justesse de sa pensée. Trouver une bonne accroche n’est souvent pas si facile. Elle doit être littéraire et pertinente, ne pas être trop longue ni trop passe-partout et correspondre au sujet.
Mais soyons honnêtes, face aux œuvres au programme, l’apprentissage de dizaines de citations extérieures passe souvent au second plan par manque de temps. Le but de cet article est donc de donner des citations relativement passe-partout, sans pour autant être trop communes et connues des correcteurs. À toi de savoir les adapter à chaque sujet et de soumettre une analyse pertinente de la citation par rapport au sujet. Nous te donnerons une poignée de citations diverses et utilisables, classées par différents thèmes.
N’hésite pas à te remettre en tête la méthode de l’introduction de la composition de lettres dans l’article suivant. De plus, nous t’invitons également à compléter ces citations avec notre autre article te présentant les citations essentielles en prépas littéraires !
Citations sur l’écriture
Mauriac, Le Romancier et ses personnages (1933)
« Le romancier, en même temps qu’il amplifie, simplifie. »
Cette citation s’applique particulièrement pour tout sujet s’interrogeant sur le rôle de l’auteur par rapport à la réalité. Elle touche également à tout sujet relatif à la mimesis, soit la représentation du réel. Elle est assez courte et est assez contradictoire en elle-même pour permettre de soulever un paradoxe et aider à la problématisation du sujet.
Balzac, La Comédie humaine, avant propos (1855)
« La Société française allait être l’historien, je ne devais être que le secrétaire. »
Dans cet avant-propos, Balzac décrit l’importance du but donné à sa littérature, à savoir l’étude et la représentation de l’ensemble de la société. Son style et le courant réaliste auquel il appartient s’inscrivent en effet dans une volonté d’étude scientifique et de catégorisation des individus sous des traits autant physiques que psychologiques.
Dans cette visée, l’écrivain ne devient que l’observateur, le scientifique devant son étude, il est alors subordonné à la société, son simple « secrétaire », mais aussi celui qui l’organise, qui en garde les secrets. Le but premier d’un secrétaire en tant que meuble étant de garder les documents confidentiels dans des compartiments cachés et refermables à clé. Pour Balzac, l’auteur est donc tout autant le confident extérieur que l’analyste organisant la société comme un scientifique le ferait pour mieux la comprendre.
Sur l’engagement
Sartre, Les Mots (1963)
« Longtemps j’ai pris ma plume pour épée, à présent je connais notre impuissance. »
Cette citation permet à la fois d’illustrer la pensée de Sartre sur l’écriture qu’il développe dans son ouvrage Qu’est-ce que la littérature ? et d’en montrer les limites. Dans ce traité, le philosophe défend l’idée selon laquelle la prose se distingue de la poésie par l’obligation qu’elle a d’être asservie à un but. Le mot poétique est un microcosme, il vaut pour lui-même. Il n’a pas à avoir de sens ou de contexte, il n’est rien de plus que lui-même et ne « sert » donc à rien. Mais la prose, parce qu’elle forme des phrases organisées dans lesquelles chaque mot a un sens, parce qu’elle subordonne le mot à la phrase, donne nécessairement un sens à celui-ci.
Parce que le mot en prose est toujours asservi à un but plus grand que lui, la littérature est toujours un engagement et ne peut jamais valoir pour elle-même en dehors de la poésie. La plume est donc une épée, un outil d’engagement. L’écriture est un instrument plus qu’un art. Le bon écrivain devient alors le bon soldat, le bon défenseur, le victorieux qui combat plus férocement qu’un autre. La valeur d’un écrivain et d’une œuvre ne repose alors pas sur la beauté mais sur l’efficacité vers un but défini.
Mais cette citation donne aussi les limites de cette pensée : si l’écrivain est un être engagé, donc politique, il connaît également son impuissance, la limite de ses propres forces, son impossibilité à avoir une portée effective.
Kundera, l’Art du roman (1986)
« Suspendre le jugement moral, ce n’est pas l’immoralité du roman, c’est sa morale. »
Cette citation prend le contre-pied de la pensée sartrienne. Ici, l’idée est justement de défendre un art pour l’art, une amoralité du roman. L’œuvre n’est pas immorale, c’est-à-dire contraire à la morale, mais bonne. Donc, morale dans le sens où elle ne se définit pas par rapport à la moralité.
Elle est foncièrement hors de la société, de ses codes, des règles du monde, elle vaut par elle-même. Sa valeur, sa raison d’être, soit sa morale, c’est d’être amorale. C’est-à-dire sans moralité, sans but. Il ne s’agit pas de créer ni de détruire un jugement, mais simplement de le suspendre, de créer une œuvre hors du temps et de l’esprit, une entité à part entière.
Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, « Sur quelques notions périmées » (1963)
« L’art n’est pas une enveloppe aux couleurs plus ou moins brillantes chargée d’ornementer le “message” de l’auteur, un papier doré autour d’un paquet de biscuits, un enduit sur un mur, une sauce qui fait passer le poisson. »
Cette citation est un peu longue, mais tu peux n’en utiliser que la première proposition ou la tronquer selon tes préférences. Elle reprend la même idée que Kundera, à savoir que l’art se dénature s’il se subordonne à quelque chose d’autre que lui-même.
Pour Robbe-Grillet, l’art n’est pas un instrument, un outil d’engagement comme il y en a d’autres, une façon plus agréable de « faire passer un message ». L’art n’est pas un ornement chargé d’envelopper quelque chose de plus grand que lui, il n’est que l’ornement. Il est quelque chose en lui-même. Il est quelque chose de beau, de goûteux, mais il n’est que cela.
Sur la lecture
Proust, Journées de lecture (1919)
« Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l’auteur finit, et nous voudrions qu’il nous donnât des réponses, quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des désirs. »
Là encore, l’écrivain revient sur le rôle de l’auteur par rapport au monde et au lecteur. Ce n’est plus l’auteur engagé, mais le guide. Celui qui en sait plus, qui voit plus, qui comprend davantage du monde et de la nature humaine qu’il révèle au lecteur.
Néanmoins, là où Verlaine parlerait d’un auteur omniprésent à l’œil « double », ici, Proust dénonce une incapacité certaine de l’auteur. Ce dernier ne peut pas guider indéfiniment le lecteur, il reste un homme, il n’a pas accès à la vérité et ne peut donc donner que quelques pistes de réflexion au lecteur. Il lui ouvre les yeux sur une réalité sans pour autant lui en donner toutes les clés.
En quelque sorte, l’auteur est alors à mi-chemin entre l’homme et Dieu, il comprend davantage mais toujours insuffisamment et ne peut jamais remplacer le lecteur dans sa recherche de lui-même. L’auteur est davantage un être de désir que de sagesse. Contrairement au philosophe, il s’interroge davantage sur la nature humaine que sur sa vérité.
Proust, Le Temps retrouvé, IV (1927)
« L’ouvrage de l’écrivain n’est qu’une espèce d’instrument optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que, sans le livre, il n’eût peut-être pas vu en soi-même. »
Cette citation du même auteur reprend l’idée d’un écrivain « guide », plus au courant de la réalité des sentiments et des tourments humains. Ce qui est intéressant ici est l’utilisation du terme instrument. On revient à une vision proche de Sartre de considérer l’art comme un outil. Cette fois non pour une cause politique, mais pour une meilleure compréhension de soi-même. Lire serait se découvrir, une façon pour le lecteur d’accéder à lui-même par l’analyse de soi effectuée par un être extérieur et supérieur : l’auteur.
Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie, IV, « Le lecteur implicite » (1998)
« Chez Ingarden, le texte littéraire est caractérisé par son inachèvement, et la littérature s’accomplit dans la lecture. La littérature a donc une existence double et hétérogène : elle existe indépendamment de la lecture, dans les textes et les bibliothèques, en puissances pour ainsi dire, mais elle se concrétise seulement par la lecture. […] En d’autres termes, le texte instruit et le lecteur construit. »
Ne te laisse pas décourager par la longueur de cette citation. L‘idée n’est pas tant de pouvoir la citer que l’expliquer. L’idée développée ici reprend celle de Marguerite Duras dans son roman Le Ravissement de Lol V. Stein, où elle explique dans des interviews que « Lol V. Stein, c’est ce que vous en faites ».
Le lecteur est acteur dans sa lecture, il acte l’œuvre tout autant que sa publication. Le texte « instruit ». Il donne une idée que seule la lecture peut acter, soit faire surgir dans le réel en lui donnant une résonance dans les propres pensées et sentiments du lecteur.
Décrire
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Aristote, La Poétique, IX (vers 335 avant notre ère)
« Car la différence entre le chroniqueur et le poète ne vient pas de ce que l’un s’exprime en vers et l’autre en prose (on pourrait mettre en vers l’œuvre d’Hérodote, ce ne serait pas moins une chronique en vers qu’en prose) ; mais la différence est que l’un dit ce qui a eu lieu, l’autre ce qui pourrait avoir lieu ; c’est pour cette raison que la poésie est plus philosophique et plus noble que la chronique : la poésie traite plutôt du général, la chronique du particulier. »
Ici, de même, savoir expliquer l’idée en accroche est plus importante que de restituer la phrase mot à mot. L’idée est la suivante : l’art se distingue de la science non par la forme mais par le fond, par le sujet mis au centre de son identité. La science dit ce qui est, l’art dit ce qui « pourrait avoir lieu ». Il trouve une harmonie du « général » face au particulier. Ici, l’auteur est presque une figure divine qui invente une réalité, mais manque de la puissance pour réaliser ce qu’il imagine.
Jaccottet, La Promenade sous les arbres, « Notes II » (1957)
« Mon étonnement devant l’insuffisance de la poésie s’étendit aux autres arts : les tournoiements de Van Gogh ne me semblaient plus qu’arabesques charmantes, comparés à l’abîme de la réalité. »
Cette dernière citation touche à la mimesis, à la possibilité pour la littérature de dire et représenter le réel. L’idée de l’auteur est de dénoncer la littérature comme insuffisante à cette représentation, que l’art peut être beau mais il ne peut qu’être superficiel. Il ne suffira jamais à la complexité de la réalité. Une œuvre peut décrire la réalité, mais ne produira alors qu’une belle description qui échouera devant la complexité du réel. Décrire n’est pas dire.
Si la longueur de certaines citations t’effraie, n’oublie pas qu’il est tout à fait possible de simplement expliquer la pensée d’un auteur en ne citant qu’une expression. Ou tu peux citer simplement l’œuvre dont l’idée est extraite pour que celle-ci soit valable en accroche de dissertation.
Néanmoins, il vaut mieux privilégier des citations plus complexes, quitte à simplement en parler sans réellement la citer, plutôt que de citer une petite phrase trop connue du correcteur qui donnerait une mauvaise image de la copie. Toute la richesse d’une bonne citation est de savoir l’analyser correctement et la relier au sujet de façon pertinente.
Pour compléter ton répertoire de citations pour tes copies de lettres, rendez-vous dans cet article et pour lire d’autres articles en lien avec les prépas littéraires, tu n’as qu’à cliquer ici !