Dans le cadre de la préparation des oraux, nous te proposons quelques clés d’analyse du style de Flaubert dans Madame Bovary, si tu venais à tomber sur un extrait de son roman. Tu trouveras les grandes caractéristiques de son écriture, de façon à nourrir ton analyse de termes précis et techniques. Flaubert, maître du réalisme, chantre du style, génie de l’ironie subtile… On le dit attentif, distancié, impartial. On dit aussi qu’avec le style indirect libre, il aurait donné une voix nouvelle à ses personnages – notamment Emma. Mais que vaut cette voix si elle ne sait pas qu’elle parle ? Si elle est reprise, filtrée, déformée par un narrateur qui s’amuse d’elle ?
Emma parle sans savoir qu’elle parle
Le style indirect libre : cette fameuse technique qui fond les pensées du personnage dans le discours du narrateur, sans guillemets, sans « dit-elle », dans un fondu presque parfait.
On le reconnaît à des phrases comme :
« Les premiers mois de son mariage, ses promenades à cheval dans la forêt, le vicomte qui valsait, et Lagardy chantant, tout repassa devant ses yeux… Et Léon lui parut soudain dans le même éloignement que les autres.
— Je l’aime pourtant ! se disait-elle.
N’importe ! elle n’était pas heureuse, ne l’avait jamais été. D’où venait donc cette insuffisance de la vie, cette pourriture instantanée des choses où elle s’appuyait ?… Mais, s’il y avait quelque part un être fort et beau, une nature valeureuse, pleine à la fois d’exaltation et de raffinements, un cœur de poète sous une forme d’ange, lyre aux cordes d’airain, sonnant vers le ciel des épithalames élégiaques, pourquoi, par hasard, ne le trouverait-elle pas ? Oh ! quelle impossibilité ! Rien, d’ailleurs, ne valait la peine d’une recherche ; tout mentait ! Chaque sourire cachait un bâillement d’ennui, chaque joie une malédiction, tout plaisir son dégoût, et les meilleurs baisers ne vous laissaient sur la lèvre qu’une irréalisable envie d’une volupté plus haute. » Troisième partie, Chapitre VI
On croit entendre Emma, mais ce « on croit » est tout le problème. Est-ce encore elle qui parle ? Ou est-ce déjà Flaubert qui la cite, qui l’imite, qui la piège ? Le style indirect libre, loin d’émanciper le personnage, le laisse s’enfoncer dans ses illusions – sans jamais le prévenir. C’est là que l’ambiguïté devient cruelle. Emma ne sait pas qu’elle parle mal, qu’elle pense mal, qu’elle rêve mal. Mais Flaubert, lui, le sait – et nous aussi.
Le réalisme flaubertien
Flaubert est réaliste, mais son réalisme est d’une froideur redoutable. Pas de pathos, pas d’élan lyrique. À la place, une forme d’autopsie littéraire, presque clinique.
« Quand elle se mettait à genoux sur son prie-Dieu gothique, elle adressait au Seigneur les mêmes paroles de suavité qu’elle murmurait jadis à son amant, dans les épanchements de l’adultère. C’était pour faire venir la croyance ; mais aucune délectation ne descendait des cieux, et elle se relevait, les membres fatigués, avec le sentiment vague d’une immense duperie. » Deuxième partie, Chapitre XIV
Le coup est rude. Emma, qui rêvait d’amour avec un grand A, tombe sur des scènes médiocres, des amants sans mystère. Or, le style indirect libre rend cette déception encore plus cruelle, car elle n’est jamais dite franchement. Elle émerge de la friction entre ce qu’Emma ressent et ce que le texte montre. Ainsi, l’écart entre les pensées d’Emma et la réalité du monde crée un effet comique, parfois glaçant, dont le marionnettiste est Flaubert.
Une expérience littéraire ou un piège ?
Le style indirect libre donne l’illusion d’un réalisme parfait : aucun filtre ni jugement, mais cette neutralité est trompeuse. Flaubert n’est pas neutre – il est invisible, ce qui est bien plus redoutable.
« Elle souhaitait à la fois mourir et habiter Paris. » Première partie, Chapitre IX
Le grotesque naît ici du contraste. Emma exprime une grande détresse existentielle, mais Flaubert y greffe une envie banale, presque ridicule. L’effet est saisissant. Le style indirect libre juxtapose l’intime et le trivial, sans prévenir – et sans pitié. Par conséquent, le style indirect libre n’est pas un outil démocratique, il ne donne pas la parole : il la mime, il la détourne, il la commente en silence.
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