écriture

Pour réussir ta dissertation de lettres le jour du concours, il te faudra maîtriser autant les œuvres que les thèmes au programme. Nous te proposons aujourd’hui d’en apprendre plus sur la question de « L’œuvre littéraire et l’auteur ». Tu ne peux pas faire l’impasse dessus ! Que tu sois en khâgne Ulm ou en khâgne Lyon, elle est au programme du concours pour 2023.

Notre article te permettra d’être incollable sur le sujet et de briller le jour J ! Nous nous appuierons en majeure partie sur des exemples mentionnés dans le Clé Concours Atlande pour le programme 2021 de Lettres, qui portait également sur « L’œuvre littéraire et l’auteur ».

De l’auteur anonyme à l’auteur roi

Antiquité et Moyen Âge : un auteur invisible

Dans l’Antiquité, la littérature est avant tout orale. Plagiats, réécritures spontanées, prolongements improvisés ne choquent personne. Les auteurs sont le plus souvent anonymes. Cet état de fait pose par exemple problème dans le cas de l’œuvre homérique. Qui est Homère ? A-t-il réellement existé ? Est-ce un collectif de personnes reprenant une tradition orale ?

Au Moyen Âge, l’anonymat continue de faire loi puisque l’écriture est réservée au clerc. Se déclarer auteur, ce n’est ni plus ni moins que se placer au-dessus du Créateur ! Si certaines figures d’auteur émergent (Chrétien de Troyes, François Villon, Marie de France), la plupart des œuvres demeurent anonymes à l’image du célébrissime Roman de Renart.

Humanisme : la (re)naissance de l’auteur ?

L’instance auctoriale gagne en lustre lors de la période humaniste. On lui rend de plus en plus hommage et on salue son originalité. Certains auteurs commencent presque à se mettre en scène. Ronsard par exemple se présente comme poète inspiré par un génie supérieur dans Les Hymnes.

Certains révolutionnent le rapport de l’auteur au lecteur. C’est le cas de Rabelais dans le prologue de Gargantua. Il s’adresse directement à son lectorat et l’invite à « rompre l’os et sucer la substantifique moelle ». En clair, le lecteur doit faire preuve d’initiative dans sa lecture et ne pas avoir peur de réfléchir. Néanmoins, Rabelais reste très critique de la lecture forcée de certaines œuvres (beaucoup de personnes à l’époque analysent par exemple Virgile à la lumière des évangiles). L’auteur a quelque chose à dire et on ne peut pas déformer ses propos pour lui prêter un discours qui n’est pas le sien.

Les XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles : entre moralisme et célébrité

Le règne de Louis XIV est l’époque de tous les contrastes. Si les moralistes, comme Pascal qui écrit que « Le moi est haïssable », entrent en guerre contre toute forme d’égocentrisme ou de prétention, les auteurs ne se refusent pas quelques coups d’éclat.

À l’époque, avoir un mécène est indispensable et dans une certaine mesure, « se vendre » est indispensable. C’est tout particulièrement le cas pour les dramaturges. Sans ce soutien, difficile de faire jouer leurs pièces. Des auteurs comme Racine vont ainsi chercher à répondre aux attentes de la Cour. À travers les préfaces de leurs pièces, il cherche à prouver leur valeur et leur légitimité.

La célébrité s’acquiert par la polémique, que ce soit pour Corneille avec la « querelle du Cid » ou pour Molière dont les œuvres comme Le Tartuffe acquièrent un retentissement politique.

Antoine Lilti, dans Figures publiques : l’invention de la célébrité, 1750-1850, analyse cette période comme celle de l’affirmation de la figure de l’auteur. Soyons clairs : la « célébrité » était déjà l’objectif d’un Ronsard ou d’un Racine. Mais à partir de la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle, le phénomène prend de l’ampleur pour plusieurs raisons :

  • les « salons » se multiplient et réunissent une nouvelle classe intellectuelle qui participe de l’émergence de textes polémiques comme L’Encyclopédie ou encore Du contrat social ;
  • les auteurs s’investissent de plus en plus dans les affaires politiques à l’image de l’affaire Calas pour Voltaire ;
  • certains écrivains comme Rousseau et Voltaire exposent très ouvertement leur rivalité et leur haine qui font les délices du lectorat.

Le XIXᵉ siècle ou « le sacre de l’auteur »

L’avènement de l’auteur roi se poursuit dans la première moitié du XIXᵉ siècle. Des figures comme Victor Hugo s’imposent comme des politiciens influents et se construisent une image de mage ou de prophète romantique. Dans La Légende des siècles, il entend par exemple retracer dans un poème l’histoire de l’humanité.

Au-delà des romantiques, les projets de Zola avec Les Rougon-Macquart ou de Balzac avec La Comédie humaine témoignent de l’importance prise par l’auteur. Il entend présenter la société dans son ensemble et s’accorde le luxe de se faire psychologue, philosophe et historien.

À ces éléments strictement littéraires s’ajoute tout un contexte juridique. La reconnaissance des droits d’auteur lors de la Révolution (ils avaient déjà été réclamés par Beaumarchais) met fin à la pratique du plagiat. Des espèces d’anthologies du plagiat sont alors publiées et révèlent que des auteurs comme Dumas étaient de grands plagiaires.

Pour toutes ces raisons, Bénichou parle de la première moitié du XIXᵉ siècle comme du « sacre de l’auteur ». La manifestation la plus nette de ce sacre auctorial est l’essor du biographisme porté notamment par Sainte-Beuve. On préfère presque davantage s’intéresser à l’auteur-civil qu’à l’œuvre elle-même.

Le recul de l’auteur

Premières critiques

Petit à petit, des critiques de l’auteur roi commencent à émerger. Pour ce qui est du roman, Flaubert, dans sa Lettre à Louise Colet du 9 décembre 1852, prône par exemple un idéal d’« impersonnalité ». Du côté des poètes, Mallarmé dans Crise de vers souhaite tendre vers une « disparition élocutoire du poète cédant l’initiative aux mots », plaçant l’auteur comme secondaire par rapport à l’écriture.

S’impose l’idée que l’auteur n’est pas forcément le mieux placé pour connaître son œuvre. Sous le « sacre de l’auteur », les paratextes prétendant expliquer les intentions de l’auteur étaient omniprésents. On peut citer Avant-propos de la Comédie humaine de Balzac ou Roman expérimental de Zola. Plus particulièrement, ce dernier explique vouloir démontrer dans son œuvre la pertinence de théories sur l’hérédité qui ont depuis été prouvées comme fausses. D’aucuns pourraient pointer du doigt sa posture comme étant paternaliste et erronée.

Les différentes écoles

Différents courants émergent entre le XIXᵉ et le XXᵉ siècle. Tous formulent une critique à la thèse de l’auteur roi. Ils rejettent l’idée que l’auteur est maître de son œuvre et de son interprétation. Tu peux en retenir deux principaux : l’école psychocritique et l’école sociocritique.

Commençons par l’école psychocritique. Dans la lignée des écrits freudiens, elle entend analyser la part d’inconscient dans les écrits des auteurs. Elle remet donc en cause la possibilité d’une anticipation auctoriale complète.

L’école sociocritique quant à elle est menée par des auteurs comme Goldmann. Ils postulent qu’on ne peut pas échapper à l’influence de la société. L’auteur n’a donc pas un contrôle total de son œuvre et reste influencé par les structures sociales. On pourrait par exemple considérer que les réalistes sont nécessairement et inconsciemment influencés par le prisme de la bourgeoisie dont ils sont issus.

Des critiques reprises au XXᵉ siècle

Plusieurs critiques littéraires et écrivains ont remis en question la position de l’auteur roi. Nous t’en proposons ici quelques illustrations. Tu pourrais notamment les reprendre en amorce pour ton introduction. On peut citer :

  • Paul Valéry qui, dans ses Cahiers, explique : « Mon intention n’est que mon intention, l’œuvre est l’œuvre », refusant ainsi l’existence d’un sens pour l’œuvre dont l’interprétation par l’auteur ne vaut pas plus que celle du lecteur ;
  • Umberto Eco écrit dans son Apostille au Nom de la rose que « l’auteur devrait mourir après avoir écrit, pour ne pas gêner le cheminement du texte » ;
  • la citation précédente fait référence à l’essai La mort de l’auteur de Roland Barthes dans lequel il écrit que « la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’auteur », notamment en écho à la théorie freudienne qui décrit la mort du père comme une étape déterminante de la maturation de l’enfant.

La triade auteur-lecteur-œuvre

Mais toutes ces écoles et tous ces courants critiques sont ensuite eux-mêmes remis en cause. C’est l’émergence puis la consécration de la triade auteur-lecteur-œuvre. Elle est portée notamment par l’École de Constance fondée par Wolfgang Iser dans L’Acte de lecture.

Iser théorise un lien déterminant entre auteur et lecteur. Le premier écrirait pour un « lecteur implicite ». Une thèse similaire est produite par Umberto Eco dans Lector in fabula, où il définit la notion de « lecteur modèle ». Il y a « cocréation » entre celui qui écrit et celui qui lit.

Quelles conséquences, donc ? L’intention de l’auteur n’est plus un dogme et peut s’éclairer d’une interprétation. Néanmoins, l’auteur est présent qu’on le veuille ou non par son style ou son imaginaire. Le texte contient autant de garde-fous qui empêchent toute surinterprétation. Umberto Eco parle à ce titre de « liberté contrôlée » du lecteur.

Sans pour autant revenir totalement dessus, Barthe lui-même nuance le propos qu’il avait développé dans La Mort de l’auteur. Dans Le Plaisir du texte, il écrit : « Dans le texte d’une certaine façon je désire l’auteur : j’ai besoin de sa figure […] comme elle a besoin de la mienne. » Le lecteur s’envisage comme étant à la recherche de la figure de l’auteur avec laquelle il noue un lien très intime.

Tu en sais à présent davantage sur la question de « L’œuvre littéraire et de l’auteur ». En t’appuyant sur les références mentionnées dans cet article, tu vas pouvoir nourrir ta dissertation de littérature. Quand tu reliras les œuvres au programme du concours pendant ton année de khâgne, n’hésite pas à les analyser au prisme des théories que nous avons évoquées ici.

Pour compléter ton approche, n’hésite pas à consulter la bible des khâgneux :
Littérature : 150 textes théoriques et critiques de Nadine Toursel et Jacques Vassevière !

Bon courage !