Tu es en prépa littéraire et tu t’interroges sur la scansion dans le cadre de tes cours de latin ? Dans cet article, nous te proposons une méthodologie détaillée des vers en latin. Bonne lecture !
La prosodie : longueur des voyelles et des syllabes
Les élisions
La scansion repose sur la longueur des syllabes (c’est-à-dire des voyelles) et il est donc impératif d’apprendre quelques règles à ce niveau. Avant toute chose, il faut penser à élider lorsque cela est nécessaire, c’est-à-dire lorsqu’il va y avoir un hiatus : la rencontre de deux voyelles, à la fin d’un mot et au début du suivant. Attention, un « h » ne compte pas comme une consonne et il n’empêche donc pas l’élision. La lettre élidée ne doit ni être prononcée ni être prise en compte dans la scansion.
Exemple
Multiplicique domo caecisqu(e) includere tectis. (Ovide, Métamorphoses, VIII)
> Le e de caecisque rencontrerait le i d’includere, il est donc élidé.
Il faut toutefois ajouter deux règles supplémentaires
– Les mots qui se terminent en -em, -am, -um, -im (et -om) subissent aussi l’élision si le mot suivant commence par une voyelle (le -m en fin de mot disparaît presque à la prononciation, ainsi, avec une voyelle devant, il y aurait un hiatus).
Ducit in errorem variar(um) ambage viarum. (Ovide, Métamorphoses, VIII)
> Le um de variarum entre en contact avec le a d’ambage, il faut donc élider.
– Lorsque le verbe sum à la deuxième ou troisième personne est concerné par une élision, c’est son e qui s’élide plutôt que la voyelle finale du mot précédent.
Ad limen potuit ; tanta (e)st fallacia tecti. (Ovide, Métamorphoses, VIII)
> Le a de tanta ferait un hiatus avec le e de est, on fait donc l’élision, mais du e de est.
Règles concernant la longueur des voyelles
La scansion est d’autant plus facile que l’on connaît un nombre important de règles concernant la longueur des voyelles. On note la longueur des voyelles avec un macron (¯) pour les longues et un micron (˘) pour les brèves. On peut d’abord dégager quelques règles absolument essentielles :
- Les diphtongues (au, ae, eu, oe) comptent pour une unique voyelle, toujours longue.
- Une voyelle est brève quand elle est suivie d’une autre voyelle : audĭo – monĕo…
- Exceptions :
- e entre deux i à la 5e déclinaison (diēi) ;
- i est souvent long au génitif en -ius des pronoms (illīus) et long dans les formes sans r de fio (fīam).
- Attention aux mots grecs : ils gardent leur longueur « grecque ». Exemple : Mīnōĭdĕ Dīăm. Le o de Minoide et le i de Diam devraient être brefs, car suivis d’une voyelle.
- Les -um, -em, -am, -im (et -om), quand ils ne sont pas élidés, sont brefs.
- Attention au u, déjà parce qu’il peut être un v (attention aux j aussi), mais aussi parce qu’il répond à quelques règles particulières :
- derrière un q, il forme tout le temps une consonne avec lui ;
- derrière un g, il forme souvent une consonne avec lui ;
- devant un i, il constitue parfois une diphtongue avec lui.
- Une voyelle suivie de deux consonnes est toujours longue (même si initialement c’est une voyelle brève), à condition que les consonnes soient :
- dans le mot même : dīgnus. Il existe cependant une exception : la voyelle n’est pas forcément longue si les consonnes qui la suivent sont une occlusive (b–g–d–p–c–t–f), puis une liquide (r–l) : pātris ou pătris ;
- reparties entre les deux mots : Jovīs filius ;
- un x, un j ou un z, qui comptent pour deux consonnes : trāxi.
- À la finale d’un mot de plusieurs syllabes, une voyelle est brève si elle est suivie d’une consonne autre que s (amăt…), devant un s, a et o sont toujours longs (rosās, magnōs), les autres voyelles parfois longues, parfois brèves. Attention : si le mot suivant commence par une consonne (la 2e, donc), la voyelle s’allonge.
- Exceptions :
Quelques règles supplémentaires
En réalité, on pourrait apprendre la longueur de toutes les désinences des déclinaisons, des terminaisons des verbes, des conjonctions, etc. Néanmoins, nous nous contenterons de dégager quelques règles supplémentaires bien utiles :
- Les a finaux des déclinaisons nominales et adjectivales sont courts, sauf l’ablatif féminin.
- Les prépositions monosyllabiques sont :
- longues si elles ont une finale vocalique (ā, dē, prō…) ;
- brèves si elles ont une finale consonantique (ăb, ĭn…) ;
Voici quelques conjonctions fréquentes : ĕt, -quĕ, ŭt.
La métrique
Les pieds
Chaque vers se décompose en un certain nombre de pieds, nombre qui dépend du type de vers auquel il correspond (six pieds pour un hexamètre, par exemple). Il existe de nombreux types de pieds, mais on se contentera de donner les plus fréquents :
- le trochée : — ∪
- l’iambe : ∪ —
- le dactyle : — ∪ ∪
- le spondée : — —
Les vers usuels
La majorité des œuvres versifiées latines sont composées soit d’hexamètres dactyliques, soit de distiques élégiaques (des couples hexamètre dactylique – pentamètre dactylique). On s’intéressera à ces typologies.
L’hexamètre dactylique
Un hexamètre dactylique est formé de six pieds, dont les deux derniers sont toujours les mêmes : un dactyle (— ∪ ∪) et un spondée ou un trochée (on note — ∪). Les quatre premiers pieds sont des dactyles (— ∪ ∪) ou des spondées (— —) : on note — ∪ ∪.
Le schéma de l’hexamètre dactylique est donc le suivant :
— ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪
Prenons un exemple :
Dēstĭnăt | hūnc Mī-|-nōs thălă-|-mī rĕmŏ-|-vērĕ pŭ-|-dōrĕm (Ovide, Métamorphoses, VIII)
Dactyle | Spondée | Dactyle | Dactyle | Dactyle | Trochée
Le distique élégiaque
Un distique élégiaque est constitué d’un couple hexamètre dactylique – pentamètre dactylique. Un texte en distiques élégiaques se compose donc d’une suite de distiques élégiaques, d’une alternance régulière hexamètre – pentamètre – hexamètre – pentamètre…
Le pentamètre dactylique est lui aussi composé de six pieds, mais plus exactement de 2 × 2,5 pieds. Il possède des pieds catalectiques (auxquels il manque une syllabe) selon le modèle suivant :
— ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — | — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | ∪
On notera donc que les pieds 3-4-5 sont fixes (et que le 6 n’importe pas). La scansion du pentamètre est donc extrêmement facile (surtout en partant de la fin). Prenons un exemple :
Lǣdĭs, ĕt | īn cās-|-trīs | vūlnĕrŏr | īpsĕ mĕ-|-īs ? (Ovide, Amours, II)
Les coupes (ou césures)
Comme les vers français, les vers latins admettent une ou plusieurs coupes qui, contrairement aux pieds, ne coupent pas les mots. Les vers ne se coupent pas tous aux mêmes endroits. S’il existe de très nombreuses coupes, on se contentera d’aborder les coupes les plus fréquentes.
Les coupes de l’hexamètre dactylique
Pas d’inquiétude : les hexamètres, pour 99 % d’entre eux, admettent une coupe penthémimère ou une coupe triple (ou double) : trihémimère – (trochaïque 3e) – hephthémimère. Avant d’aborder cette combinaison, voici une étude individuelle des coupes.
Les deux coupes primaires sont la coupe penthémimère et la trochaïque 3e. La première, comme son nom l’indique, se place au milieu du 5e demi-pied (un demi-pied correspond à une longue ou deux brèves), tandis que la deuxième se place après le trochée (s’il y en a un) du 3e pied.
Coupe penthémimère : — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — // ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪
> Dēstĭnăt | hūnc Mī-|-nōs // thălă-|-mī rĕmŏ-|-vērĕ pŭ-|-dōrĕm (Ovide, Métamorphoses, VIII)
Coupe trochaïque 3e : — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪ // ∪ | — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪
Il existe ensuite deux coupes secondaires
La coupe trihémimère et la coupe hephthémimère. La première se place après le 3e demi-pied, la seconde après le 7e demi-pied.
Coupe trihémimère : — ∪ ∪ | — // ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪
Coupe hephthémimère : — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — // ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — ∪
> Ῑncēr-|-tās // ē-|-xērcĕt ă-|-quās, // ĭtă | Dǣdălŭs | īmplĕt (Ovide, Métamorphoses, VIII)
Comme le montre le vers précédent, un vers peut admettre plusieurs coupes. En réalité, l’écrasante majorité des hexamètres dactyliques latins admettent une coupe penthémimère. Celle-ci, coupe primaire, se suffit à elle-même, mais elle peut parfois être accompagnée de coupes secondaires.
Les coupes secondaires, trihémimère et hephthémimère, ne se suffisent pas réellement à elles-mêmes. On les trouve donc souvent ensemble (cf. l’exemple précédent). On parle d’une coupe double, souvent également accompagnée d’une troisième coupe, une trochaïque troisième : on parle d’une coupe triple. D’ailleurs, l’exemple précédent admet cette triple coupe.
> Ῑncēr-|-tās // ē-|-xērcĕt // ă-|-quās, // ĭtă | Dǣdălŭs | īmplĕt (Ovide, Métamorphoses, VIII)
Plus de 90 % des vers latins admettent une coupe penthémimère et l’écrasante majorité des vers restants admet une coupe double trihémimère – hephthémimère, souvent plutôt une coupe triple, même.
Les coupes du pentamètre dactylique
Pour le pentamètre dactylique, il n’y aucune difficulté, car la coupe se trouve systématiquement au même endroit : au milieu, après le 3e pied donc.
— ∪ ∪ | — ∪ ∪ | — //| — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | ∪
> Lǣdĭs, ĕt | īn cās-|-trīs //| vūlnĕrŏr | īpsĕ mĕ-|-īs ? (Ovide, Amours, II)
Méthode pour scander et utilité de la scansion
Comment scander ?
Scander n’est absolument pas compliqué, il suffit d’appliquer les règles énoncées pour définir la longueur des voyelles et de s’aider des schémas de vers. Prenons un exemple que l’on va décomposer, avec l’hexamètre dactylique suivant :
Ponit opus turbatque notas et lumina flexu
Pas d’élision à faire, on note donc la longueur des syllabes dont on peut connaître la longueur
- Le o de ponit est long, car la première syllabe d’un pied est longue.
- Le i de ponit est bref, car une voyelle suivie d’une finale autre que s est brève et que le mot suivant commence par une voyelle (donc pas d’allongement de la syllabe, car il n’y a qu’une unique consonne).
- Le u d’opus est long, car il est suivi de deux consonnes : s, et au mot suivant t.
- Le a de turbatque est long, car il est suivi de deux consonnes : tq.
- Le e de turbatque est bref, car –que est toujours bref (quand il n’est pas élidé).
- Le a de notas est long, car un –as final est toujours long.
- Le e de et est long, car il est suivi de deux consonnes : t, et au mot suivant l.
- Le e de flexu est long, car il était suivi d’un x, qui compte pour deux consonnes (il est aussi la première syllabe d’une dernier pied : il ne peut être que long).
On a donc : Pōnĭt opūs tūrbātquĕ notās ēt lumina flēxu
On peut marquer quelques pieds et repérer la longueur de quelques voyelles supplémentaires
- Le o de opus est bref, car il faut bien compléter le dactyle (un hexamètre, impossible d’avoir une suite de voyelle — ∪ —).
> Pōnĭt ŏ-|-pūs tūrbātquĕ notās ēt lumina flēxu - -pūs tūr forme un spondée, donc un pied.
> Pōnĭt ŏ-|-pūs tūr-|-bātquĕ notās ēt lumina flēxu - Le o de notas doit être court, car on ne peut retrouver une brève seule entre deux longues.
> Pōnĭt ŏ-|-pūs tūr-|-bātquĕ nŏ-|-tās ēt lumina flēxu - -tās ēt forme un spondée, donc un pied.
> Pōnĭt ŏ-|-pūs tūr-|-bātquĕ nŏ-|-tās ēt|lumina flēxu - flexu forme forcément le dernier pied, qui ne contient que deux syllabes (mais impossible de connaître la longueur du u sans connaître par cœur la longueur des déclinaisons).
> Pōnĭt ŏ-|-pūs tūr-|-bātquĕ nŏ-|-tās ēt | lumina | flēxu - lumina forme l’avant-dernier pied, donc forcément un dactyle (l’avant-dernier pied étant fixe, il est toujours évident de le scander, d’où l’intérêt de partir de la fin).
On peut scander complètement le vers : pōnĭt ŏ-|-pūs tūr-|-bātquĕ nŏ-|-tās ēt | lūmĭnă | flēxū
Reste ensuite à placer la ou les coupes
Aucune difficulté, il suffit de regarder si les coupes que l’on connaît peuvent être mises sans couper un mot.
Pōnĭt ŏ-|-pūs // tūr-|-bātquĕ // nŏ-|-tās // ēt | lūmĭnă | flēxu
> Pas de coupe penthémimère possible, car elle couperait turbatque.
> On peut par contre placer une coupe trihémimère, une trochaïque troisième et une coupe hephthémimère : on a une coupe triple.
Dans le cas d’un texte en distiques élégiaques, le texte qu’on te donne commence normalement par un hexamètre, mais si la question se pose pour retrouver les hexamètres et les pentamètres, il suffit de tenter de scander la fin de quelques vers comme s’il s’agissait de pentamètres, car le pentamètre se finit forcément en — | — ∪ ∪ | — ∪ ∪ | ∪. S’il y a un vers avec lequel le schéma ne peut coller (car une brève tombe sur une voyelle forcément longue), il s’agit d’un hexamètre. On peut aussi, à l’inverse, tenter de scander comme si c’était un hexamètre.
Pourquoi scander : la double utilité de la scansion
Utilité pour la version
Les différentes déclinaisons et terminaisons ayant une prosodie différente, il est parfois possible de s’appuyer sur la scansion pour définir le cas d’un nom ou d’un adjectif, ou le temps d’un verbe. Le cas le plus utile est celui du a. Toutes les déclinaisons ont un a bref, sauf le féminin singulier à l’ablatif. Scander peut alors permettre de savoir si l’on a affaire à un ablatif singulier ou autre chose. On peut citer quelques autres exemples :
- 4e déclinaison > manŭs : nominatif // manūs : gén. singulier ou nom./voc./acc. pluriel.
- quŏque: aussi (adv.) // quōque : quo (rel.) + –que ou quisque (pron.-adj.) à l’ablatif.
L’analyse de la scansion en commentaire
C’est la scansion d’un vers qui permet d’en apprendre plus sur son rythme. Scander quelques vers peut donc parfois permettre d’analyser plus précisément un texte. Trois choses à regarder :
- Les coupes : une coupe marque une pause dans le vers, le ralentissant donc un peu, et met donc potentiellement l’emphase sur le mot qui la précède et/ou le mot qui la suit.
- Le type de pied : les spondées (— —), composés de deux longues, peuvent permettre de marquer une certaine lenteur ou solennité, quand les trochées ou dactyles, avec leurs brèves, marquent plutôt un staccato, un enchaînement régulier d’éléments brefs, ce qui donne donc un rythme plus rapide et soutenu.
> On peut ainsi analyser les accumulations de spondées ou, au contraire, de dactyles/trochées. - La longueur des mots : certains mots peuvent être composés uniquement de voyelles longues, ou brèves, c’est aussi quelque chose qui peut être analysé.
C’est la fin de cet article qui, nous l’espérons, t’aura été utile ! Pour lire plus d’articles sur la prépa littéraire, nous te donnons rendez-vous juste ici !