latin

Avec la réforme des épreuves de latin et grec du concours de l’ENS, l’exercice du commentaire prend une place d’autant plus importante. Le thème de culture antique pour l’année 2024, « La guerre et la paix », est alors propice à l’étude particulière de la narration latine. D’autant que l’on retrouve deux historiens dans les œuvres au programme, Tite-Live et Tacite, ainsi que deux autres auteurs qui peuvent être amenés à utiliser les mêmes artifices narratifs, Virgile et Cicéron.

 

La phonostylistique

Les fondements de la langue latine reposent essentiellement sur la langue orale, avec des moyens formels et fonctionnels qui visent l’efficacité. Les deux premiers genres majeurs de la littérature latine, l’épopée et la tragédie, sont peut-être le meilleur exemple. Si le théâtre est évidemment destiné à être joué, l’écriture épique fait elle aussi partie du genre poétique et peut ainsi être considérée comme « oratoire ».

Un autre élément à prendre en compte est la lecture, car il n’existe pas vraiment de lecture muette à Rome. Quand les Latins lisent, ils le font à voix haute, de sorte que la lecture peut être considérée comme une parole articulée en vue d’une écoute orale. Témoins et résultats de ce phénomène, les recitationes et autres lectures publiques sont particulièrement appréciées des Romains.

 

Lutter contre la déperdition orale

Dans ce cadre se pose le problème classique de l’oral. La réception dépend de la compréhension instantanée (impossible, au théâtre, de demander un retour en arrière pour réécouter), ce qui implique de développer des techniques pour lutter contre la déperdition orale.

C’est par là que l’on comprend le mieux les capacités rhétoriques de la langue latine. Cette dernière s’appuie notamment sur une formulation claire et mnémonique (qui vise à solliciter la mémoire), avec une rythmique qui, avant de se vouloir ornementale, vient marteler les étapes de la compréhension pour imprimer la mémoire et améliorer la persuasion.

Dès lors, on comprend mieux aussi l’intérêt de la flexion (les déclinaisons). Le latin est naturellement sonore et musical. C’est pour cela qu’on peut parler de phonostylistique : la stylistique du latin repose d’abord sur la phonétique.

Dès lors, on peut étudier les lettres latines en fonction de la qualité impressive du son qu’elles émettent. Le latin est donc évidemment friand d’assonances (répétition de voyelles) et d’allitérations (répétition de consonnes), avec différents effets en fonction des lettres et du contexte. Mais il existe aussi un certain nombre d’autres figures « sonores » : l’homéotéleute, figure de répétition d’un même son à la finale de plusieurs mots, la paronomase, association phonique de deux termes sémantiquement sans rapport (animatus/armatus)… Ces redondances vont soit susciter un rapprochement de sens, soit inciter un antagonisme.

 

Les modes d’écriture à Rome

La littérature antique, grecque puis latine donc, repose sur un principe qui semble rejoindre la théorie de la mimésis aristotélicienne : l’imitatio d’une belle œuvre participerait de sa beauté, en l’accroissant. Toutefois, il ne s’agit pas de procéder à des furta (larcins), mais de faire preuve d’une inventivité stimulée par le modèle. C’est l’aemulatio, deuxième grand principe sur lequel repose la littérature antique, qui contribue à tisser un dialogue constant, mais respectueux entre les générations.

Il s’agit alors pour chaque auteur, malgré la reprise de topoi communs, de marquer une différence avec leur modèle et d’apposer sa signature personnelle. « Son talent, sa puissance et tout ce qui n’est pas transmissible par la technique », voilà ce que sont, selon Quintilien (Institution oratoire), les qualités inimitables d’un orateur (et donc d’un écrivain).

L’originalité des auteurs va d’autant se développer que l’ingenium (le talent) va prendre le pas sur l’ars (la technique), entraînant l’apparition ou des mélanges de genre. On peut par exemple trouver des couleurs tragiques dans Pharsale de Lucain, poème épique.

 

Les temps de la narration

Lorsque l’on s’intéresse aux temps de la narration, il faut s’intéresser aussi à la notion gréco-latine d’aspect. Quand le temps situe une action dans la durée, l’aspect, lui, la situe par rapport à elle-même, par rapport à son début, son milieu ou son terme. Présent, futur et parfait sont les temps absolus, tandis que l’imparfait et le plus-que-parfait sont des temps relatifs.

Si parfait et présent fonctionnent souvent ensemble pour faire avancer le récit, les deux temps n’ont pas exactement la même valeur. Le parfait désigne simplement l’action achevée et est ainsi le temps « neutre » du passé, le temps du constat. Le présent, lui, a la particularité d’actualiser la narration, permettant de mettre en relief les points essentiels et d’animer le récit.

 

L’imparfait

L’imparfait (et le plus-que-parfait) indique le déroulement d’une action ou d’un état dans le passé. Il raconte l’événement pendant qu’il se passe, en simultanéité, de sorte qu’il propose une vision ouverte dans le passé, par opposition à la vision fermée du parfait.

L’imparfait a alors plusieurs valeurs particulières. Il peut permettre une « préparation dramatique » en mettant en place le cadre à l’intérieur duquel va survenir un événement essentiel, gardant ainsi le lecteur en haleine en instaurant une attente. Il peut aussi être un temps descriptif qui renforce la description d’une scène pour la faire revivre dans son devenir, donnant ainsi une certaine profondeur au récit.

 

L’infinitif de narration

L’infinitif de narration est un temps spécifique au latin et à la narration. Son sujet est au nominatif et il se traduit soit par un présent, soit par un imparfait, soit par la tournure « il se mit à… » (jamais un passé simple ou composé). Il est l’élément de dramatisation par excellence en ce qu’il introduit avec solennité (car n’ayant pas de désinences, il est apte à dire des choses générales) une péripétie saisissante, quelque chose d’intense ou de violent, souvent dans une situation pathétique ou particulièrement tendue.

L’effet de dramatisation le plus puissant est probablement la suite d’infinitifs de narration (qu’on retrouve surtout chez Tacite et Salluste), qui porte la tension du passage à un point de rupture.

Un certain nombre de textes reposent alors sur la variatio, l’alliage d’au moins trois temps différents, qui crée un éclairage différent et permet des changements de plans successifs.

 

La dramatisation du récit

Les auteurs latins ont d’abondantes ressources à leur disposition pour dramatiser un récit, dont voici les principales :

  • la variatio, évoquée précédemment, qui permet de créer un effet de contraste, et notamment le crescendo dramatique, qui consiste en la clôture d’une suite parfait-imparfait par un infinitif de narration, qui vient mettre un terme à l’amplification progressive ;
  • la parataxe, plus précisément l’asyndète (absence de coordination), peut avoir une valeur, plutôt que d’opposition, de gradation (on pourra la traduire par « de plus »), permettant une dramatisation par accélération : l’absence de liaison permet de détacher chaque proposition de façon abrupte, avec un effet d’autant plus saisissant que le nombre de propositions est important ;
  • la place des verbes peut leur donner un rôle particulier, notamment lorsque le verbe est antéposé, apportant dynamisme et relief à la phrase, ou lorsque deux verbes sont soit rapprochés, soit éloignés, pour mettre en évidence une correspondance ou une opposition ;
  • des techniques dites de « présentation » :
    • le jam d’ouverture et de préparation (situé en tête de phrase : déjà…), souvent accompagné d’un imparfait ou plus-que-parfait de dramatisation
      > évolution qui se précipite + attente (peut être accompagné de mots annonçant l’imminence de quelque chose)
    • les particules de mise en scène comme tum vero, enim vero ou plus rarement tunc enimvero
      > « voici que… »
  • des techniques dites de « rupture » :
    • certains adverbes ou particules de rupture (ecce, repente, subito…)
      > événement subi ou inattendu
    • le cum de rupture (ou cum inversum)
      > inattendu, coup de théâtre dramatique, événement (ou paroles) qui influe fortement sur l’action
    • le nisi (parfois contracté en ni) de rupture
      > empêche in extremis une action de se réaliser : le subjonctif vient nier ce qui aurait du se produire
    • le donec (jusqu’au moment où, jusqu’à ce que) de rupture :
      > point d’aboutissement, dénouement, interruption dramatique avec coup de théâtre
  • des topoi (singulier topos : thème récurrent)
    > topoi de la grande bataille épique : formule du style luce prima (« aux premières lueurs du jours »), combat en plaine ou au pied de remparts, aristie (combat 1v1 au milieu de la bataille)…

 

C’est la fin de cet article qui, nous l’espérons, t’aura été utile pour tes cours de latin et de culture antique ! Pour consulter davantage de ressources en lien avec la prépa littéraire, rendez-vous juste ici.