Cette semaine, l’ESSCA (école de commerce basée notamment à Angers) a annoncé qu’elle indexerait désormais ses frais de scolarité sur le revenu des parents. Une démarche tout à fait inédite dans le paysage des écoles françaises, mais qui pourrait faire des émules.

Dans le détail, les frais de scolarité du Programme Grande École seront échelonnés sur 12 tranches, de 2980€ à 11 910€ (et de 5470€ à 8210€ pour le programme Bachelor) : « L’ESSCA s’adapte à la situation de chaque famille et déploie ainsi une véritable politique d’ouverture, confortée également par l’ensemble des actions et soutiens menés par la Commission de Veille Sociale de l’École. » précise son directeur Jean Charroin.

Une indexation des prix encore peu pratiquée par les écoles post-prépas

Si certaines écoles post-prépas ont d’ores et déjà initié des politiques tarifaires différenciées, le phénomène demeure encore tout à fait marginal. La plus avancée en la matière reste IMT-BS, qui offre la quasi-gratuité à ses étudiants boursiers. Certes, l’école basée à Evry bénéficie de son statut d’école publique ; c’est d’ailleurs la seule business school dans cette situation. À noter que cette année, IMT-BS a augmenté ses frais de scolarité pour les non-boursiers (de 7050€ à 7750€) mais a instauré un palier intermédiaire à 5000€, gommant ainsi quelque peu l’effet de seuil induit jusqu’alors.

Les trois Parisiennes (HEC Paris, ESSEC BS et ESCP BS) ont également mis en place des politiques plus ou moins ambitieuses de réduction des frais de scolarité : l’école jovacienne, à travers sa fondation, finance plutôt efficacement le cursus des étudiants issus des milieux les plus modestes. Quant aux autres écoles, les dispositifs mis en place restent assez anecdotiques, soit parce que le nombre d’étudiants concernés est faible, soit parce que la réduction accordée n’est pas significative.

Des frais de scolarité en forte hausse depuis 10 ans

Nous le révélons année après année à l’occasion des enquêtes successives que nous réalisons  : la hausse des frais de scolarité pratiqués par les écoles post-prépas atteint des proportions vertigineuses depuis une dizaine d’années. Entre 2009 et 2020, ces derniers ont augmenté en moyenne de 81,5% pour atteindre 42 337€ ! La faute a une concurrence internationale de plus en plus féroce qui poussent les business schools françaises à adopter des standards de qualité (notamment en matière de recherche) très onéreux, ainsi qu’au désengagement des CCI (Chambre de Commerce et d’Industrie) qui subventionnaient autrefois massivement les écoles.

Si ces hausses sont largement critiquées par les étudiants français qui ont grandi dans l’idéal de l’éducation quasi-gratuite (c’est le cas dans le Supérieur pour l’université et, surtout, pour les écoles d’ingénieurs !), ces dernières demeurent encore « acceptables » dans la mesure où les salaires à la sortie permettent la plupart du temps de rembourser efficacement l’éventuel emprunt contracté.

Un moyen de concilier financement efficace des écoles et ouverture sociale

Pour autant, ces droits de scolarité mirobolants sont de nature à décourager les étudiants les moins favorisés, qui manquent déjà cruellement sur les bancs des Grandes Écoles – notamment les plus prestigieuses -. Très récemment, un rapport remis à la Ministre de l’Enseignement Supérieur Frédérique Vidal préconisait d’ailleurs d’accorder des points bonus lors des concours aux étudiants boursiers, reprenant à son compte une idée déjà émise l’année dernière par HEC, Polytechnique et les quatre ENS. À tout point de vue, cette mesure aurait à notre sens des conséquences catastrophiques : nous détaillons notre réflexion dans cet article.

Quoi qu’il en soit, le constat du manque d’ouverture sociale des Grandes Ecoles est accablant : moins de 20% aux ENS, à HEC ou à Polytechnique contre 38% au sein de l’enseignement supérieur. Ce phénomène découle du triptyque suivant :

  • Inégalité de préparation (organismes privées de préparation qui pullulent sur le marché, opacité manifeste dans la conception des épreuves du concours, « capital culturel » hétérogène tel que défini par Bourdieu et Passeron) ;
  • Asymétrie d’informations (méconnaissance du cursus prépa-classe préparatoire au sein des milieux modestes, conduisant à un décalage entre le potentiel de l’étudiant et son choix d’études) ;
  • Frais de scolarité pratiqués par les écoles dissuasif pour les plus modestes, couplés à un manque d’informations sur leurs modalités de financement).

Sans nier l’importance des deux premiers points, la question des droits de scolarité est évidemment prépondérante et détourne nécessairement certains étudiants de la voie des Grandes Écoles (a fortiori de management). Dans cette optique, comme nous le préconisions déjà dans cet article en 2018, l’indexation des frais de scolarité sur les revenus est un outil tout à fait efficace. Elle permet aux écoles de préserver leurs recettes (qui découlent essentiellement des frais de scolarité) tout en s’assurant de recruter les meilleurs profils, indépendamment de leur origine sociale. De la sorte, elle parviendrait probablement à tenir leurs objectifs en matière de diversité, et ce autrement qu’en battant en brèche l’idéal méritocratique des concours post-prépas.

De fait, il sera intéressant d’observer l’exemple de l’ESSCA dans les années à venir, afin de constater si le modèle engagé est effectivement viable économiquement et probant à l’aune de l’ouverture sociale. Auquel cas, on ne peut qu’espérer que d’autres écoles leur emboite le pas… Affaire à suivre donc !