Afrique

Le sujet du tiers-monde est un impondérable des cours de prépa, notamment en géopolitique. Pour t’aider à cerner les éléments essentiels à maîtriser à ce sujet, cet article te propose d’étudier les relations entre le tiers-monde et le reste des pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Introduction

De la déclaration de Léopold Sédar Senghor en 1955, « Bandoeng, c’est la fin du complexe d’infériorité des peuples de couleur », affirmant l’émancipation et l’indépendance, au sombre constat de Joseph Stiglitz dans La Grande désillusion (2001) d’une relation néocolonialiste des grandes puissances avec les pays en voie de développement, que penser de la place prise par les pays en voie de développement après 1945 ?

Le terme tiers-monde est forgé par Alfred Sauvy en 1952 pour désigner l’ensemble des pays en voie de développement. Désuet, voire connoté d’une certaine condescendance et souvent associé à la pauvreté, au retard et à une hiérarchisation implicite des pays, il n’est plus employé aujourd’hui.

Problématique 

Comment expliquer que, malgré une entrée triomphale dans les relations internationales (avec la conférence de Bandoeng, la crise de Suez…), le tiers-monde n’ait pas pour autant réussi à faire entendre sa voix pendant la fin du siècle ? On peut même aller plus loin en se demandant s’il y a réellement eu un tiers-monde en tant que groupe uni et défini, capable de prendre place dans les relations internationales.

L’émergence du tiers-monde

Tout d’abord, on peut croire à l’émergence du tiers-monde et à sa capacité à peser dans le jeu des relations internationales du fait de manifestations spectaculaires d’affirmation.

L’entrée de nouveaux acteurs sur la scène internationale après 1945

  • On compte de nouveaux pays indépendants issus de la décolonisation : l’Indonésie à partir de 1945, l’Inde en 1947.
  • Mais aussi de nouveaux pays indépendants lorsque les mandats de la Société des Nations (SDN) prennent fin : principalement au Moyen-Orient.
  • Et, enfin, il y a la création de nouveaux États : Israël en 1948 et le Pakistan dans une certaine mesure.

Des atouts pour construire un groupe uni

Dans cette perspective, ces derniers semblent avoir les atouts pour se constituer en groupe uni et capable de faire entendre ses intérêts dans les relations internationales.

Tout d’abord, ils sont nombreux, ont la majorité à l’Assemblée générale de l’ONU et ont un réel moyen de faire entendre leur voix. De plus, ils sont aussi détenteurs des matières premières, ce qui est un moyen de peser dans les relations internationales. Ainsi, l’internationalisation en 1951 de l’Anglo-Iranian Company par Mossadegh en est un exemple éclatant.

L’affirmation progressive du tiers-monde

Dans ce contexte, un certain nombre de manifestations témoignent de l’affirmation du tiers-monde et créent de façon ponctuelle un sentiment d’appartenance à un même groupe.

En outre, la constitution du tiers-monde s’appuie sur de grands évènements fondateurs :

  • La conférence de Bandoeng en 1955, durant laquelle on voit la naissance d’un sentiment d’appartenance.
  • La conférence des non-alignés à Brioni en 1956, Alger en 1973, avec pour ambition de créer une alternative aux blocs de la Guerre froide.
  • La crise de Suez en 1956, qui marque la victoire du tiers-monde face aux anciens colonisateurs.

 

Par ailleurs, d’autres grandes victoires ponctuelles ravivent ce sentiment d’appartenance :

  • Le maintien de Cuba communiste en plein bloc de l’Ouest à quelques centaines de kilomètres des côtes américaines et la victoire dans la baie des cochons en 1961.
  • Le choc pétrolier en 1973, durant lequel les pays du tiers-monde prouvent leur capacité à avoir un poids et une influence sur l’économie mondiale. Mais cela annonce déjà leur manque d’unité en tant que tiers-monde, car cette décision de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) qui sert les uns est au détriment des autres qui n’exportent pas de pétrole.

Des difficultés croissantes

Cependant, les affirmations du tiers-monde furent seulement ponctuelles et il fait face par la suite à des difficultés de nature diverses qui l’empêchent de former la troisième voie à laquelle il prétend dans les relations internationales.

Des fragilités économiques marquées

Les fragilités économiques de beaucoup de pays du tiers-monde le forcent à l’alignement sur un bloc pour obtenir de l’aide.

On peut, par exemple, mentionner le financement d’une partie du barrage d’Assouan par l’URSS, qui est inévitablement lié à un rapprochement de l’Égypte avec le bloc de l’Est. Dans une même mesure, les aides économiques en Amérique latine fournies par les États-Unis en font un continent aligné sur l’Ouest (l’Alliance pour le Progrès de Kennedy, 1961).

Une perte de crédibilité sur la scène internationale, car leurs actions sont vues comme du verbalisme

  • Cette impression de verbalisme s’explique par la structure même de l’ONU : le tiers-monde n’est pas au Conseil général, où les décisions importantes sont prises.
  • Mais on constate aussi un décalage entre déclarations et actes du tiers-monde : l’Inde, par exemple, prône la paix, la non-violence de Gandhi à l’ONU… et, en même temps, est en tensions permanentes avec le Pakistan et mène une guerre avec la Chine en 1962.

Une unité difficile à sauvegarder

Pour toutes ces raisons, on peut affirmer que l’unité s’avère difficile à conserver entre les pays du tiers-monde.

En effet, des divisions internes apparaissent autour de l’enjeu d’avoir le leadership du tiers-monde. Ce leadership est revendiqué par Nasser, en tant que vainqueur de Suez, par Tito, en tant que celui qui a bravé les blocs en refusant un alignement sur l’Est, par Nehru, président d’un des premiers pays décolonisés d’après-guerre, puis par Mao, avec sa théorie des Trois Mondes en 1970.

Ensuite, un manque de réalité commune se dévoile progressivement. Dans un premier temps, leurs situations économiques sont très différentes, selon s’ils sont exportateurs de pétrole (rentiers) ou non (victimes des échanges inégaux avec les pays développés). De plus, des organisations à toutes les échelles se développent et concurrencent cette identité tiers-mondiste : Ligue arabe en 1945, OEA (Organisation des États d’Amérique) en 1948, OUA en 1963 (Organisation de l’unité africaine)…

Le tiers-monde existe-t-il ?

Finalement, la tournure que prennent les relations internationales du tiers-monde avec les pays développés est en réalité une relation néocolonialiste qui confirme la non-existence d’un réel tiers-monde après 1945.

Une bonne volonté manifeste des pays développés d’aider le tiers-monde

Des organismes se mettent en place, comme la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) en 1964, mais elle ne parvient qu’à imposer aux pays signataires de consacrer 1 % de leur PIB aux pays du tiers-monde.

Des traités comme celui de Lomé I en 1975 mettent en place des facilités commerciales et des aides financières.

Des propositions s’avérant souvent dictées par leurs propres intérêts

Ces démarches s’ancrent en réalité dans un système dans lequel les intérêts du tiers-monde ne sont pas véritablement prioritaires.

  • Le Commonwealth apparaît comme un maintien de l’influence anglaise sur ses anciens dominions.
  • La Françafrique est aussi une façon de maintenir son aura pour la France (système Foccart).
  • Le Consensus de Washington en 1989 sert les intérêts américains en exigeant des contreparties à l’aide apportée, dénoncées par Stiglitz dans La Grande Désillusion.

Conclusion

Si le tiers-monde a bien acquis une existence symbolique à travers des manifestations fortes d’esprit de corps et d’émancipation vis-à-vis des anciens pays colonisateurs, force est de constater qu’il n’avait pas la force économique suffisante pour jouir d’une indépendance à la hauteur de ses ambitions.

La bonne volonté apparente des pays développés de leur venir en aide n’a pas manqué de servir également leurs propres intérêts et n’est pas parvenu à leur donner les moyens d’une indépendance réelle. Les caricatures de Plantu témoignent du décalage de développement criant qui persiste à la fin du XXe siècle.