Les relations sino-africaines vers une Chinafrique

Alors que les anciennes puissances anciennement bien ancrées sur le continent africain voient leur présence de plus en plus contestée, l’influence de la Chine ne cesse de s’y développer depuis la fin du XXᵉ siècle. Une des principales manifestations est l’évolution du terme « Françafrique » vers celui de « Chinafrique ». Voici un petit topo géopolitique sur les intérêts croissants de la Chine en Afrique !

L’émergence progressive d’un partenariat entre la Chine et l’Afrique

Des prémices au développement rapide des relations sino-africaines

Les premières relations entre la Chine et les pays africains débutent en 1955 à Bandung, lors de la Conférence pour l’unification du tiers-monde. Ces relations sont avant tout diplomatiques, puisque les différents participants ont pour but de créer un troisième bloc non aligné. La Chine bénéficie alors de sa position de moteur de cette conférence pour commencer à étendre son influence en Afrique. La preuve en est : en 1971, une large majorité d’États africains votent pour l’entrée de la RPC au Conseil de sécurité de l’ONU. L’enjeu majeur pour la Chine est alors la non-reconnaissance de Taïwan par l’ensemble des États. Cela va rapidement devenir un critère de choix de partenariat pour l’Empire du Milieu.

En effet, les relations entre la Chine et l’Afrique s’accélèrent surtout avec le développement économique chinois. Les réformes de Deng Xiaoping ouvrent la Chine sur le monde. Peu à peu, à l’intérêt diplomatique se rajoute une composante économique. En 2000, la Chine organise son premier FOCAC : Forum sur la coopération sino-africaine. Ces sommets ont pour but de renforcer les relations entre les deux zones géographiques. En 20 ans, la Chine devient un partenaire économique primordial pour de nombreux États africains.

Une alternative aux puissances anciennement colonisatrices

Elle offre aujourd’hui une réelle alternative aux aides des puissances européennes et américaines. Des aides qui ne sont pas conditionnées par des efforts démocratiques ni par la mise en place de politiques économiques drastiques et très rigoureuses, contrairement aux aides du FMI ou de la Banque mondiale. La Chine propose aussi des prêts sur le long terme à de nombreux États, comme au Kenya. Cet argent sert au développement local et à la construction d’infrastructures. Ainsi, entre 2000 et 2020, la Chine a prêté plus de 150 milliards de dollars à l’Afrique pour financer de nouvelles infrastructures.

Surtout, la Chine profite souvent de la mauvaise image qu’ont les populations locales des pays occidentaux. Les héritages de la colonisation sont parfois encore très présents. L’Empire du Milieu se place alors comme une puissance à l’écoute de ses partenaires et souhaite rompre l’image d’une Afrique asservie. Lors de l’inauguration d’une nouvelle ligne ferroviaire, le président kenyan Uhuru Kenyatta déclare ainsi : « Alors que l’ancien chemin de fer a été construit par la force et la violence, le nouveau chemin de fer a été construit dans le consentement et le partenariat, par le Kenya et la Chine. »

Un partenariat « gagnant-gagnant »

Aujourd’hui, la Chine est ainsi le premier partenaire commercial de l’Afrique, avec un volume du commerce proche de 300 milliards de dollars. En 2000, il avoisinait les 10 milliards. L’Afrique est aussi son premier marché d’exportation et le lieu où elle construit le plus d’infrastructures. C’est pourquoi le gouvernement chinois parle toujours d’un partenariat « gagnant gagnant ». L’Afrique devient un point de chute pour de nombreuses entreprises chinoises, tandis que la Chine favorise le développement local. On parle alors de « Consensus de Pékin ».

La sécurité et les ressources, deux enjeux majeurs de la Chinafrique

Ces dernières années, les relations entre la Chine et le continent africain s’articulent surtout autour des notions de ressources et de sécurité.

La question des ressources

Les ressources sont un grand point de coopération entre la Chine et l’Afrique. En fait, la Chine profite des nombreuses économies de rente qui demeurent sur le continent. En plus de ses gigantesques approvisionnements, le pays cherche de plus en plus à participer à l’exploitation des différentes ressources. La construction de nouvelles infrastructures, comme des routes ou des ports, va dans le sens de cette stratégie. Cela permet d’acheminer les matières premières jusqu’au littoral, pour ensuite les acheminer partout dans le monde.

La Chine s’intéresse notamment à l’uranium au Nigéria pour continuer de développer son programme nucléaire. Plus récemment, la Chine cherche à s’approvisionner en métaux rares et en produits permettant de développer son industrie. Dans le cadre de son industrie de production de téléphones haute technologie, le gouvernement investit massivement en République démocratique du Congo. C’est l’une des premières réserves de cobalt dans le monde, ce qui en fait un enjeu stratégique.

L’enjeu de la sécurité

La sécurité est un autre pendant très important du concept de Chinafrique. La Chine influence d’abord la sécurité locale via des coopérations bilatérales et des ventes d’armes. En 2020, la Chine est le deuxième fournisseur d’armes à l’Afrique subsaharienne, après la Russie. Plusieurs pays ont noué des partenariats privilégiés avec la Chine, comme la Namibie, le Nigéria ou la Tanzanie. Au Nigéria, la Chine soutient l’armée dans sa lutte contre Boko Haram. Cela passe par l’envoi de drones de combats et de partage de photos satellites.

Cette question sécuritaire signe une inflexion majeure dans la politique africaine de la Chine. En effet, le gouvernement a toujours insisté sur le principe de non-ingérence. Toutefois, aujourd’hui, la Chine assume son rôle de gendarme du continent. En 2011, le Premier ministre chinois, Hu Jintao, annonce un « partenariat pour la paix et la sécurité ». Cette inflexion est encore plus marquée sous Xi Jinping. Ce dernier cherche à sécuriser ses intérêts économiques dans une région souvent très instable.

Cela se concrétise en 2016 par l’ouverture d’une base militaire chinoise à Djibouti. Cette localisation n’a rien d’un hasard. C’est l’une des zones les plus stratégiques du monde : à l’intersection entre la mer Rouge et le golfe d’Aden, et surtout au niveau du détroit de Bab-el-Mandeb. C’est par là que transitent près de 10 % du commerce mondial et 30 % des échanges d’hydrocarbures. Cette base fait ainsi office de point de déploiement des Casques bleus chinois ainsi que de point de transit pour les évacuations des ressortissants. Elle permet aussi à l’Armée populaire de libération (APL) d’effectuer des patrouilles pour lutter contre la piraterie locale.

Un enjeu stratégique

En parallèle, l’Afrique est récemment devenue un enjeu des plus cruciaux dans le tournant stratégique chinois. En effet, Xi Jinping cherche maintenant à faire de la Chine la première puissance géopolitique mondiale. À cet effet, il souhaite créer une nouvelle organisation mondiale et réformer entièrement la gouvernance actuelle. Avec comme moteur la Chine. Toutefois, les réticences sont nombreuses dans le monde, et notamment en Occident. Tout l’enjeu pour Xi Jinping est alors de créer un front commun contre l’ordre mondial d’aujourd’hui pour parvenir à le modifier. L’appui des pays africains est donc primordial pour le gouvernement dans la réalisation de ce projet ambitieux.

La Chine tente ainsi, un peu comme en 1971, de rallier plusieurs pays africains à cette cause. Cela passe par une sorte d’opération « séduction » au service du soft power chinois. Le gouvernement a notamment recours à de nombreux efforts politiques, économiques et humains. La mise en place des instituts Confucius en est une illustration. Ce sont des lieux culturels mis en place depuis 2007 en Afrique pour promouvoir la culture chinoise. Ces 55 établissements présents sur le continent dispensent notamment des cours de chinois et des cours d’histoire. Par exemple, des compétitions de kung-fu sont maintenant organisées chaque année à Abidjan en Côte d’Ivoire. La Chine est particulièrement implantée en Afrique du Sud, en RDC, au Kenya, au Nigéria et au Cameroun.

Le concept de Chinafrique est pourtant contestable

Un concept très général

Si la Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique, cela ne représente pas la diversité des situations. Seuls l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Angola et l’Égypte ont des volumes d’échanges avec la Chine qui dépassent les 20 % de leurs exportations. De nombreux pays africains n’entretiennent pas – ou presque pas – de relations avec l’Empire du Milieu. C’est le cas du Niger, de la Namibie, ou encore du Botswana. L’Eswatini (anciennement Swaziland) ne reconnaît même pas la République populaire de Chine comme souveraine, mais Taïwan. Cette notion de Chinafrique est donc à considérer avec précaution tant les situations sont diversifiées.

En outre, il ne faut pas oublier que la Chine n’est pas le seul pays présent en Afrique. Des anciennes colonies comme la France ou le Royaume-Uni conservent des partenariats privilégiés avec de nombreux pays. C’est le cas dans la bande sahélo-saharienne avec les interventions françaises Serval en 2013, puis Barkhane en 2014. D’autres pays nouent également de nouveaux partenariats avec plusieurs pays africains, comme le Brésil et l’Inde, voire la Russie. D’où l’importance de bien nuancer cette idée d’une nouvelle Chinafrique qui n’a finalement rien d’évident !

Une relation sino-africaine souvent dissymétrique

Si Pékin ne cesse de parler d’une relation « gagnant-gagnant », la réalité est plus complexe. Tout le problème réside dans les prêts effectués par la Chine aux pays africains. Sur le papier, ces prêts sont très attractifs pour les gouvernements locaux : sous la forme d’aides gratuites, ou de prêts sans intérêts, ils permettent de construire de nombreuses infrastructures et de produire croissance et développement. Toutefois, le risque de surendettement est réel et dangereux. La Chine est d’ailleurs souvent accusée de pousser les États africains à s’endetter de manière excessive. Le niveau de la dette est passé de 50 % à 102 % du PIB en cinq ans au Mozambique !

Le risque est que les États ne parviennent plus à rembourser le gouvernement chinois. Dans ce cas, comme Pékin a pu le faire au Sri Lanka, la Chine peut demander le contrôle des infrastructures qu’elle a financées. Bien souvent, ces dernières sont stratégiques pour le développement économique ou l’exportation de ressources : il y a par exemple le port de Doraleh à Djibouti, une ligne ferroviaire entre Nairobi et le port de Mombasa au Kenya, une route entre Port-Gentil et Libreville au Gabon. Les intérêts des différents partenariats sont ainsi souvent dissymétriques : l’Occident rappelle souvent que la Chine y gagne beaucoup plus que ses partenaires africains.

Si tu t’intéresses aux relations qu’entretient la Chine avec le reste du monde, n’hésite pas à aller jeter un petit coup d’œil à notre article sur l’Amérique latine. Si tu veux approfondir le thème des matières premières et de leurs problématiques pour l’Afrique, viens voir notre article !