Bonjour à toutes et à tous, je suis ravie de vous retrouver dans ce 5ème épisode de “L’Accroche”, la série de podcast de Major-Prépa qui décrypte des curiosités historiques ou géographiques pour te donner de supers accroches à intégrer dans tes copies d’ESH, d’HGG et de CG. Pour continuer cette série, je te propose une plongée au cœur de l’histoire de l’un des groupes criminels les plus violents et les mieux organisés au monde, qui défie les justices mexicaine et américaine depuis plus d’un demi siècle : le cartel de Sinaloa. Il est notamment à l’origine de la postérité de son chef Joaquin “El Chapo” Guzman, un des mafieux les plus célèbres de l’histoire.
L’origine du cartel de Sinaloa
Le cartel de Sinaloa naît au début des années 1960 de l’association de deux espagnols, les frères Pérez, opérant au Mexique, dans la province de Sinaloa. Ils sont idéalement situés : la région est reliée à la Californie et à l’Arizona par un chemin de fer datant du XIXe siècle. Au-delà de sa localisation, elle est également riche en pavot, la plante à l’origine de l’opium.
L’organisation criminelle se développe progressivement dans les années 1960 et 1970, qui se terminent par la mort d’un des frères fondateurs, abattu par la police en 1978. Cette ascension s’inscrit dans un contexte de prospérité des premiers cartels de drogue, notamment en Colombie et au Mexique. En effet, le commerce des narcotrafiquants est rendu profitable à cause de la demande croissante de stupéfiants sur un marché voisin, abondant et riche : les Etats-Unis.
Les liens étroits du cartel avec la CIA puis avec l’État mexicain
L’appui de la CIA au cartel dans les années 1980
Le chef du cartel, le célèbre Joaquin “El Chapo” Guzman, a été arrêté en 2019, extradé et jugé aux États-Unis. L’Histoire, avec un grand H, sait être ironique : dans les années 1980, c’est grâce à l’aide de la CIA qui se servait du cartel pour fournir la Contra nicaraguayenne en armes et dollars que le Sinaloa a pu se hisser parmi les groupes mexicains les plus puissants. Le gouvernement américain, en pleine guerre froide et sous la présidence de l’interventionniste Reagan, soutenait en effet les Contras contre le gouvernement sandiniste alors en place au Nicaragua, qui manifestait des idéaux socialistes, anti-impérialistes, et étaient affiliés à l’Internationale socialiste.

Le soutien du cartel de Sinaloa à la corruption d’Etat dans les années 1990
Dans les années 1990, c’est le cartel de Sinaloa, avec El Chapo à sa tête, qui introduit aux États-Unis la méthamphétamine. Ils prospèrent grâce aux drogues de synthèse, à l’héroïne et à la marijuana, mais également grâce à une corruption massive de tout l’appareil d’État Mexicain. En particulier, en 1996, les cartels les plus puissants parviennent à placer José Gutierrez Rebollo à la tête de l’Institut national de lutte contre la drogue. Il était notamment payé par le cartel de Juarez pour épargner ses chefs et les aider au transport de cocaïne, et fut condamné en 1997 à quarante ans de prison. Des policiers les moins gradés jusqu’à leurs chefs, l’argent des cartels irrigue tout un écosystème véreux, au point que l’on parle parfois d’un narco-état parallèle.
En janvier 2023 a eu lieu le procès de Genaro Garcia Luna, l’officier mexicain le plus haut gradé de l’histoire à être jugé aux Etats-Unis, pour corruption et complicité de trafic de drogue avec le cartel de Sinaloa. A son arrestation en 2019, cet ancien secrétaire de la Sécurité du Mexique avait été accusé d’avoir accepté des pots-de-vin (se comptant en millions de dollars !) de la part du célèbre cartel, puis de les avoir rejoints dans leurs activités criminelles. Il a finalement été reconnu coupable de trafic de drogue et a accepté de retarder la date de son jugement jusqu’à septembre 2023. Il encourt toujours un minimum de 20 ans de prison sur le sol américain.
L’histoire du célèbre narcotrafiquant “El Chapo”
Joaquín Archivaldo Guzmán Loera, plus connu sous le nom de “El Chapo” ou “El Rápido”, était un célèbre trafiquant de drogue mexicain. Il est né le 25 décembre 1954 dans le village de La Tuna, dans l’État de Sinaloa, au Mexique. Il a grandi dans une famille de cultivateurs de cannabis et de opium, et a pris en 1989 la tête du cartel de Sinaloa, l’un des plus puissants du pays.
El Chapo était connu pour sa capacité à échapper à la justice et à éviter les arrestations, grâce à sa fortune et à ses connections politiques. Il a été arrêté à plusieurs reprises au cours de sa carrière, mais a toujours réussi à s’échapper de prison. En 2001, il a même réussi à s’évader d’une prison de haute sécurité en utilisant un tunnel creusé sous sa cellule.
En 2016, El Chapo a été extradé aux États-Unis et inculpé de crimes liés au trafic de drogue. Il a été condamné à la prison à vie en 2019, après un procès retentissant à New York. Sa chute a été saluée comme une victoire pour les forces de l’ordre mexicaines et américaines, qui avaient traqué le célèbre trafiquant pendant des années.
Sur l’ensemble de sa “carrière” à la tête du cartel de Sinaloa de 1989 à 2014, on estime que El Chapo aura été responsable de l’expédition de pas moins de 1200 tonnes de cocaïne (principalement vers les Etats-Unis), pour un gain s’élevant à 12,6 millions de dollars.
Après 2006 : un point culminant dans la lutte contre les cartels et la violence à grande échelle
En 2000, la victoire électorale de Vicente Fox aux présidentielles mexicaines met fin à plus de 80 ans de règne du PRI, le parti révolutionnaire institutionnel, particulièrement infiltré par les cartels. Mais le même schéma se répète, même si la volonté affichée de Fox de faire la guerre aux narcos se traduit par des bains de sang, accentués en 2006 par l’élection contestée de Felipe Calderon à la tête du pays. Ce dernier engage une vaste guerre armée contre les cartels afin de purifier son pays gangréné par le trafic de drogue. Malgré l’aide des Etats-Unis et les 36 000 militaires déployés, la violence des cartels ne fait qu’augmenter et le combat de Calderon se solde par un échec.
Suite à ces événements, une partie des chefs du Sinaloa décident de se doter d’une milice privée pour se protéger : Los Antrax est née. Elle est soupçonnée de nombreux actes de torture et d’assassinat, mais la mort de son leader “El Chino Antrax” en 2020 marque la fin symbolique de son action.
Entre 2006 et 2020, plus de 200 000 personnes sont mortes et 30 000 ont disparu des suites de la guerre contre la drogue.
Violence, argent et trafic de drogue
L’engrenage de la violence qui entretient le cartel de Sinaloa
Le pouvoir des cartels repose sur un triptyque simple, où chaque pilier soutient l’autre : l’argent, la violence et le trafic de drogue (en particulier vers les États-Unis).
Pour le cartel de Sinaloa et les autres, la violence est autant un moyen de conquérir un territoire que de s’imposer face à d’autres cartels, et également un moyen de se venger des opérations policières, comme lors de l’affaire Enrique Camarena (un policier de la DEA, le département américain de répression des drogues, est capturé et torturé par un cartel). Cette violence inouïe, qu’elle s’exerce contre des policiers, des membres des autres cartels ou tout acteur s’opposant à eux, facilite également les actions de corruption.
Le faux rôle social du cartel de Sinaloa
Cependant, les cartels sont encore souvent vus comme un facteur de réussite sociale et d’élévation par les jeunes mexicains pauvres et sous-éduqués. L’argent qui coule à flot au sein de ses organisations s’avère être le nerf de la guerre pour attirer de jeunes recrues, soudoyer les officiels et se poser (faussement) en héros sociaux.
Par exemple, lors de l’épidémie du Covid-19 en 2020, le confinement de la population de Culiacan, capitale économique de Sinaloa, avait été marqué par des pénuries de masques et un manque de ressources en l’absence de travail. Le cartel avait alors pris un rôle de sauveur en lançant une production de masques en tissu et en distribuant des aides alimentaires gratuites dans les quartiers les plus touchés.
Il est cependant prouvé que l’économie locale ne profite absolument pas de l’activité des cartels. Les aides sociales apportées par les cartels ne sont que des manières d’étouffer les contestations et d’attiser le ressentiment de la population envers l’inaction gouvernementale.
Un business extrêmement lucratif pour les plus puissants
L’argent du cartel leur vient principalement du trafic de drogue, un système extrêmement bien rôdé depuis le producteur (qui touche une misère) jusqu’au consommateur (qui paye une fortune). En 2010, un kilo de cocaïne acheté 2000$ au Pérou ou en Colombie se revendait 30 000$ aux États-Unis, et 100 000$ une fois divisé en grammes et vendus directement aux consommateurs.
Contrôler toutes les étapes du trafic est alors crucial. Le fentanyl et l’oxycodone, faciles à synthétiser et extrêmement addictifs, ont ainsi vu leur production exploser depuis 2012, tandis que la guerre fait rage entre les cartels pour contrôler les voies de passage vers les US. Seuls les cartels dont le territoire est suffisamment étendu à la frontière peuvent récolter les fortunes du trafic.
La situation actuelle du cartel de Sinaloa
Depuis la condamnation à la prison à vie de Joaquin “El Chapo” Guzman, chef du cartel de Sinaloa, en 2019, le cofondateur Ismael “El Mayo” Zambada affronte les deux fils d’El Chapo pour le contrôle du cartel. Aujourd’hui âgés de 39 et 28 ans, les deux frères comme El Mayo sont parmi les hommes les plus recherchés par la DEA.
Le cartel de Sinaloa est donc toujours actif et présent dans de nombreux pays du monde. En 2020, il comptait près de 10 000 membres avec un chiffre d’affaires estimé à 3,5 milliards de dollars.
Cette anecdote peut t’être utile pour introduire ou développer de nombreux sujets sur la corruption, l’interventionnisme américain en Amérique Latine, la drogue, les gangs et cartels ou encore la mondialisation criminelle. Quant à nous, on se retrouve très bientôt dans le prochain épisode !
Retrouve tous les autres épisodes de l’Accroche ici !
Tiens-toi au courant de l’actualité du monde hispanophone avec nos autres articles sur le rôle de l’armée en Amérique latine et le Mexique !