Ukraine

Le 24 février 2022, la Fédération de Russie envahissait son voisin ukrainien. Deux ans après, les bombardements continuent et 17,5 % de l’Ukraine (dont la Crimée) reste occupée par la Russie. Pourtant, depuis plusieurs mois, la situation ne bouge pas. Les combats continuent, mais ni Moscou ni Kiev n’arrive à gagner du terrain ou à récupérer du territoire. Après deux ans de guerre, où en est-on ? Quelles sont les conséquences sur les populations et sur les relations internationales ? Que pouvons-nous imaginer pour la suite ?

 

Deux ans auparavant : pourquoi la guerre ?

Depuis l’éclatement de l’URSS en 1991, les relations entre l’Ukraine et la Russie sont tendues. Moscou tente de garder son influence sur l’ancienne Union soviétique, tandis que Kiev se rapproche petit à petit des pays occidentaux.

En 2013, la révolution de Maïdan débute en Ukraine après la décision du Président nouvellement élu, Ianoukovitch, de suspendre l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne et de relancer un dialogue actif avec Moscou. À la suite des soulèvements, le Président ukrainien est destitué et la Russie en profite pour envahir la Crimée en février 2014. Une première guerre russo-ukrainienne éclate : la guerre du Donbass. Pour apaiser les tensions, les accords de Minsk II sont signés le 12 février 2015.

Mais la non-application du contenu des accords de Minsk par les gouvernements ukrainiens de Porochenko en 2014, puis de Zelensky en 2019, et le refus par les États-Unis de promettre à la Russie de ne jamais accepter l’Ukraine dans l’OTAN ont donné un prétexte à Poutine pour justifier son invasion. Ainsi, le 21 février 2022, Moscou reconnaît l’indépendance des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, deux zones séparatistes de la région du Donbass. Le 22 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine au nom de la défense des frères ukrainiens du Donbass prétendument « menacé de génocide par le pouvoir nazi à la tête du pays ». Et le 24 février 2022, une offensive générale est déclenchée sur l’ensemble du territoire ukrainien.

 

Le déroulé de la guerre en Ukraine

  • 24 février 2022 : offensive russe, d’abord sur le front, puis sur le nord et le sud.
  • Août 2022 : contre-offensive ukrainienne. L’armée ukrainienne reprend Kharkiv et Kherson. Ceci a mis en lumière les faiblesses de l’armée russe et l’efficacité de l’armée ukrainienne, plus motivée et mieux encadrée.
  • Automne 2022-printemps 2023 : offensive russe à Bakhmout avec le groupe Wagner en première ligne. En mai 2023, Prigojine revendique la prise complète de la ville. Cependant, plus de 10 000 hommes de Wagner ont été tués lors de cette bataille.
  • 23 juin 2023 : rébellion du groupe Wagner contre l’armée russe. Prigojine accuse l’armée russe d’avoir bombardé ses camps en arrière-ligne. Il annonce donc marcher vers Moscou avec 25 000 hommes.
  • Juin 2023 : contre-offensive ukrainienne sur le front sud.
  • Depuis octobre 2023 : les deux armées ne progressent plus. L’Ukraine comme la Russie continuent de bombarder et de subir de lourdes pertes.

 

Cette guerre a donc fait renaître un type de conflit que l’on croyait obsolète : la guerre pour le territoire.

 

Une armée russe moins performante que prévu

Si au cours du premier mois de « l’opération militaire spéciale », les forces russes occupaient 25 % du territoire ukrainien, elles se sont rapidement révélées désorganisées. Elles ont été incapables de prendre le contrôle du ciel et ont été arrêtées par le manque de carburant des convois militaires. Les soldats russes, mal entraînés, sont alors devenus des cibles faciles pour les tirs ukrainiens.

Malgré ses faiblesses, l’armée russe dispose néanmoins d’atouts considérables. Elle a d’abord une importante réserve d’hommes : plus de 350 000 sont mobilisés depuis le début de la guerre. Elle est aussi une puissance nucléaire, ce qui oblige les États soutiens de l’Ukraine à la prudence.

Moins efficace que prévu sur le terrain, la Russie se livre donc à une guerre de l’information, voire de la désinformation, en essayant de décrédibiliser les discours occidentaux et ukrainiens. Par exemple, en mars 2022, une enquête du média Vice News relate une campagne de désinformation organisée par le Kremlin, dont l’objet était de financer des influenceurs russes afin qu’ils diffusent des contenus pro-russes sur le déroulement de la guerre.

 

Une armée ukrainienne plus résiliente que prévu 

Un mois après le début de l’offensive russe, l’armée russe avait conquis 25 % du territoire ukrainien. Ensuite, elle n’a plus progressé et a même reculé lors de la contre-offensive ukrainienne d’août 2022, ne contrôlant plus que 15 %.

Ainsi, la grande majorité de la population ukrainienne a décidé de défendre la patrie, ayant compris que l’existence de la nation était en jeu. L’Ukraine n’a plus peur d’attaquer le territoire russe ou la Crimée. En octobre 2022, elle a par exemple bombardé le pont de Kertch, une fierté de Poutine, car il était le symbole du rattachement de la Crimée à la Russie.

Depuis le début de la contre-offensive de 2023, l’armée ukrainienne continue d’attaquer des cibles stratégiques en Crimée, comme la base navale de Sébastopol. Elle attaque aussi le territoire russe près de la frontière.

 

Quel est le bilan ?

Le bilan humain

Massacres, amputations, exils : la guerre est une catastrophe humaine pour la Russie comme pour l’Ukraine.

 

Côté ukrainien

Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) compte 10 500 civils tués, dont près de 3 000 exécutés de sang-froid après tortures et viols. Par exemple, après le massacre de Boutcha entre février et mars 2022, la mairie recensait plus de 450 morts du fait des meurtres, viols ou autres actes de torture de la part de l’armée russe.

Le HCR recense aussi plus de 20 000 blessés ukrainiens. Pour les militaires, les services secrets américains estiment un bilan de 170 000 soldats tués ou blessés. En réalité, les données étant difficiles à récolter en temps de guerre, le bilan est probablement beaucoup plus élevé.

 

Côté russe

Les chiffres sont encore plus flous… BBC News faisait état d’environ 107 000 soldats russes tués, alors que le site d’information russe indépendant Mediazona comptait 44 760 militaires russes tués. Pour les civils, il y aurait entre 170 000 et 320 000 tués.

À cela s’ajoutent les prisonniers, les disparus (23 000 dans les deux bords, selon la Croix-Rouge) ou les déserteurs, mais aussi les victimes psychologiques de la guerre et les réfugiés. En effet, dans les premiers jours de la guerre, des centaines de milliers d’Ukrainiens se tournent à l’ouest vers la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie ou la Roumanie. Le HCR recensait en février 2023 plus de huit millions de réfugiés ukrainiens en Europe, soit 18 % de la population du pays.

 

Le bilan géopolitique 

Deux ans après le commencement de l’invasion russe, les conséquences géopolitiques à l’échelle du monde, et en particulier à l’échelle de l’Union européenne, sont incontestables.

 

Des innovations juridiques à l’ONU

Le blocage de l’ONU par le veto de la Russie empêche toute action. Les États occidentaux sont donc obligés de trouver de nouveaux mécanismes juridiques pour contourner le veto.

 

Renforcement de l’amitié sino-russe

La Chine a refusé de condamner la Russie et assure chercher une solution négociée à la résolution du conflit, en proposant toujours des solutions en faveur de la Russie.

Par exemple, elle présente une position favorable en une annexion définitive de la Crimée et la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.

 

L’OTAN retrouve sa fonction première : assurer la défense collective de l’Europe

40 000 hommes sont stationnés dans les États de l’est de l’Europe et 300 000 sont en état d’alerte. On retrouve alors un léger climat de guerre froide, d’autant plus que le Norvégien Jens Stoltenberg perçoit à nouveau la Russie comme « la menace la plus directe et la plus importante pour la sécurité [norvégienne] ».

Par ailleurs, dès l’invasion russe, la Finlande et la Suède, deux États jusqu’alors neutres, ont demandé leur adhésion à l’OTAN et leur processus d’adhésion a été accéléré.

 

Des changements pour l’Union européenne

Le retour de la guerre sur le continent européen oblige l’Union européenne à admettre qu’elle ne se construira plus seulement sur le marché, la démonstration étant faite que le « doux commerce » n’empêche pas la guerre. L’Union européenne doit désormais penser à une reconstruction. D’autant plus qu’elle a promis des conditions d’adhésion moins strictes pour l’Ukraine une fois la guerre terminée.

Par ailleurs, si avant l’invasion, le pourcentage d’Ukrainiens favorables à l’adhésion du pays à l’Union européenne était de 67 %, il est désormais de 92 %. Quant aux Européens, 60 % d’entre eux sont favorables à l’adhésion de l’Ukraine.

La guerre russo-ukrainienne a aussi entraîné des répercussions internationales en contribuant à la crise énergétique et à la crise alimentaire dans le monde.

 

La crise énergétique

Concernant la crise énergétique, la guerre en Ukraine a conduit la Russie à couper ses approvisionnements à beaucoup de pays européens, encore très dépendants du gaz et du pétrole russe.

Par exemple, dès avril 2022, la Russie refuse d’approvisionner la Pologne et la Bulgarie en gaz, pour les sanctionner de leur soutien à l’Ukraine. Ces pays dépendant encore à plus de 50 % du gaz russe. Ce sont ensuite les Pays-Bas, le Danemark et l’Allemagne qui ont été privés d’importations énergétiques russes.

Aujourd’hui, ces pays ont réussi à trouver des accords avec la Russie, ou à se tourner vers l’énergie nucléaire ou les énergies renouvelables. Au contraire, les pays d’Asie centrale et la Chine ont obtenu des partenariats très avantageux avec la Russie, qui avait besoin de trouver de nouveaux partenaires.

 

La crise alimentaire

Concernant la crise alimentaire, l’invasion de l’Ukraine et les bombardements des zones agricoles et des réserves de blé ont entraîné des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. Au moment de l’invasion, l’Ukraine est le quatrième exportateur de maïs et de blé, et le premier exportateur mondial d’huile de tournesol.

La Russie et l’Ukraine représentaient à elles seules 27 % des exportations de blé. La flambée des prix du blé continue d’aggraver la situation alimentaire en Afrique de l’Est ou au Yémen, un pays qui connaît déjà une famine depuis plusieurs années. En effet, au moins 25 pays africains importent un tiers de leur blé de Russie et d’Ukraine. Toutefois, les tensions sur le marché du blé ont aujourd’hui quasiment disparu.

 

Conclusion

La guerre en Ukraine a fait renaître le conflit pour le territoire et a redivisé le monde en deux, avec d’une part les Occidentaux et leur soutien indéfectible pour l’Ukraine, et d’autre part, quelques pays africains, l’Inde et la Chine qui se positionnent plutôt en faveur de la Russie, sans pour autant fournir des armes ou aides financières.

Pour le moment, les fronts restent bloqués, les bombardements continuent mais aucun pays ne réussit à gagner du terrain ni à négocier pour retrouver un climat de paix.

 

Cet article a été rédigé par Anne Guyon en collaboration avec Call’ONU, l’association de géopolitique de l’ESCP. Pour lire les autres articles, c’est par ici !