« Les hommes naissent inégaux en droit face à l’accès à l’eau. C’est inacceptable. Le droit à l’eau devrait être inscrit dans la Constitution de chaque pays », Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l’eau.

S’il y a bien une ressource dont nous devons nous soucier, c’est l’eau. Condition nécessaire à notre existence, elle semble particulièrement abondante sur la planète bleue. Abondante ? Pas si sûr. Si les images satellites nous renvoient l’idée d’une planète constituée à 72 % d’eau, l’entièreté de celle-ci n’est pas propre à la consommation. Dans les faits, 97,5 % de l’eau sur la Terre est salée et parmi les 2,5 % restants, seuls 32 % sont directement consommables, soit environ 0,7 % de l’eau présente sur la planète. Qui plus est, son inégale répartition sur le globe donne lieu à des situations alarmantes. Selon le GIEC, un peu moins de trois milliards de personnes sont aujourd’hui en situation de stress hydrique. Dans une situation de rareté aggravée, l’eau devient partie intégrante de stratégies de sécurité nationale et constitutive d’une nouvelle forme de politique extérieure. Dès lors, va-t-on tout droit vers une généralisation des conflits de l’eau ?

I – L’eau, une ressource convoitée

La notion de rareté de l’eau est à nuancer puisque ce « peu » d’eau représente tout de même une disponibilité de 40 000 millions de km3 d’eau par an, soit 5 700 m3 d’eau par an et par habitant. C’est loin d’être insuffisant quand on sait qu’un pays est en pénurie en deçà de 1 000 m3 d’eau par an et par habitant.

Dès lors, on comprend bien que le problème de l’eau ne réside pas tellement dans sa quantité globale, mais davantage sur sa répartition hétérogène à travers le globe. En effet, neuf pays, dont la Russie et le Brésil, se partagent 60 % des ressources en eau. Les inégalités sont criantes, un Canadien dispose de plus de 70 000 m3 d’eau par an et par habitant selon la FAO, alors que plus d’un milliard de personnes sont en situation de pénurie. Mais cette convoitise est largement accentuée par des facteurs externes. Le premier est directement lié à la pression démographique. Si la population mondiale atteint 9,8 milliards d’individus selon l’ONU, il faudra bien adapter les pratiques alimentaires. L’impact sur l’eau est fulgurant quand on sait que dans la plupart des régions plus de 70 % de l’eau est utilisée à des fins agricoles. Pour nourrir les 10 milliards d’individus, il faudra accroître de 50 % la production agricole d’ici 2050, et cela entraînera une hausse de 15 % des prélèvements en eau. Il faut bien sûr aussi prendre en compte les transformations des habitudes alimentaires liées à la hausse globale du niveau de vie. Il faut, par exemple, plus de 15 000 litres d’eau pour produire un kilo de viande.

Les besoins en eau augmentent aussi en lien direct avec l’urbanisation. Une hausse de 72 % de la population urbaine est attendue d’ici 2050, avec un point d’honneur particulier dans les pays en développement où seulement 57 % de la population est reliée au réseau d’assainissement. L’augmentation de cette population urbaine ainsi que d’autres problèmes intrinsèques à l’urbanisation, comme la pollution, la planification inadéquate ou encore la pauvreté, mettent une pression supplémentaire sur les ressources en eau.

II – Quelques crises apparentes

Il existe quelques conflits à travers le monde qui ont pour sujet direct l’eau. David Blanchon résume parfaitement la situation actuelle : « Les frontières des États suivent parfois les cours d’eau et découpent les bassins versants : on compte 263 bassins transfrontaliers majeurs, représentant 60 % des ressources en eau mondiales […] Depuis que de grands aménagements hydrauliques sont possibles, depuis qu’un pays d’amont peut détourner le débit d’un grand fleuve ou polluer gravement ses eaux sur des centaines de kilomètres, les conflits potentiels pourraient se matérialiser. »

Plus de 40 % de la population mondiale se situe autour de 250 bassins transfrontaliers et par conséquent, les États sont plus disposés à développer une géopolitique liée à l’eau. L’eau est donc aussi le cadre de tensions, non pas à l’échelle globale, mais à l’échelle régionale, voire locale. La crise la plus connue en matière de maîtrise des ressources hydriques oppose la Turquie, la Syrie et l’Irak. En effet, le Tigre et l’Euphrate sont deux fleuves qui prennent leur source dans les montagnes turques, mais le complexe hydraulique (le GAP), composé de 22 barrages mis en place par la Turquie en 1970, conduit à une réduction de 70 % du débit naturel de l’Euphrate et de 50 % de celui du Tigre.

Le Nil représente un espace de tension hydraulique jamais égalé puisqu’il est en effet partagé entre 11 pays d’Afrique, l’Égypte étant le pays le plus vulnérable d’entre eux puisqu’elle est dépendante à 100 % des ressources extérieures (notamment du Soudan et de l’Éthiopie). Plusieurs pays pompent sérieusement les eaux du Nil, à commencer par le Soudan qui construit des barrages, en particulier sur le Nil bleu. La Tanzanie et le Kenya ont, quant à eux, pompé l’eau du lac Victoria pour irriguer leurs abondantes terres agricoles et cinq autres pays sont également concernés sur le bassin versant du Nil. Dès lors, c’est bien 11 pays qui détiennent la sécurité hydraulique de l’Égypte entre leurs mains. La construction du nouvel État du Sud-Soudan vient s’ajouter à cette situation particulière puisqu’il contrôlera une partie importante du Nil blanc qui fait perdre entre quatre et huit milliards de m3 d’eau à l’Égypte.

III – Trouver des solutions alternatives

Au vu des problématiques existantes, il faut trouver des solutions alternatives pour pallier ce problème de répartition de l’eau, source de tensions. Plusieurs s’offrent à nous, à commencer par la mobilisation des eaux atmosphériques. Elle est effective notamment au Chili, dans le désert d’Atacama, où des filets récupèrent l’eau de brouillard. Plus de 2 000 habitants sont fournis en eau grâce à cette technologie. La deuxième solution est de pratiquer le recyclage des eaux usées puisqu’il permet chaque année d’éviter une perte de 300 milliards de mètres cubes d’eau par an. La modernisation des moyens des systèmes d’irrigation, et notamment le « goutte-à-goutte », permet encore une fois d’éviter de grosses pertes d’eau. C’est la condition même de la réussite agricole d’Israël par exemple.

Cependant, la technologie qui est aujourd’hui la plus prometteuse en matière de distribution de l’eau reste le dessalement de l’eau de mer. Avec 11 millions de mètres cubes par jour, le Moyen-Orient renferme 44 % des capacités mondiales d’eau dessalée à partir d’eau de mer. Presque tous les pays de la région se sont engagés dans cette stratégie : le Koweït, qui a été le précurseur et possède aujourd’hui quatre usines de dessalement qui totalisent une capacité de 600 000 mètres cubes d’eau  par jour, l’Arabie saoudite, qui est le principal producteur d’eau dessalée avec 30 usines situées sur le littoral du golfe et sur le littoral de la mer Rouge avec une capacité totale de 3,35 millions de mètres cubes par jour, et les Émirats arabes unis, qui ont une capacité de dessalement de 2,3 millions de mètres cubes par jour. Aujourd’hui, l’Arabie saoudite construit quatre complexes de dessalement pour un investissement total de huit milliards de dollars.

Conclusion

Il faut relativiser la situation. En effet, si le mythe de la guerre de l’eau est très présent dans l’inconscient collectif, l’idée d’une guerre qui aurait pour seule origine une situation de stress hydrique est largement artificielle. L’eau est bel et bien devenue constitutive d’une nouvelle forme de politique extérieure, c’est indéniable, mais c’est un facteur qui s’ajoute à d’autres. D’autant plus que la plupart des conflits où l’eau rentre en jeu sont évités grâce à des accords pacifiques.