Lors du 15e sommet des BRICS en août dernier à Johannesburg, le Président sud-africain Cyril Ramaphosa a annoncé l’entrée de six nouveaux membres : l’Iran, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. « L’adhésion de ces pays prendra effet à compter du 1er janvier 2024 », a annoncé le Président. Durant les négociations, l’Inde s’est une nouvelle fois montrée méfiante face à la Chine et ses ambitions, dont celle d’intégrer des nouveaux membres, mais a finalement accepté, toute décision au sein du groupe devant se prendre à l’unanimité.

 

Retour sur l’histoire des BRICS

Au départ, le terme « BRIC », évoqué pour la première fois en 2001 par Jim O’Neill, économiste de la banque d’investissement Goldman Sachs, désignait quatre pays (Brésil, Russie, Inde et Chine), dont la croissance était particulièrement rapide et à fort potentiel pour l’avenir.

C’est en 2006 que les quatre pays décident de s’unir officiellement pour former un groupe qui se rencontrera une fois par an lors de sommets. En 2010, l’Afrique du Sud se joint à eux pour former les BRICS. Ce groupe est donc la vitrine de la notion d’émergence qui peut être définie comme étant un processus d’intégration à l’économie mondiale qui se caractérise par une forte croissance accompagnée d’une affirmation géopolitique, grâce à une plus grande représentativité sur la scène internationale.

Représentant environ 42 % de la population mondiale et 26 % du PIB mondial en 2022, ils ne disposent toutefois que de 15 % des droits de vote au sein du Fonds monétaire international (FMI). La création de la Nouvelle banque de développement (NBD) en 2014 propose une alternative à la Banque mondiale et au FMI afin de financer des projets d’infrastructures et d’aider les économies émergentes à faire face à d’éventuels chocs financiers.

 

Un groupe pas si homogène et aux horizons stratégiques différents

Au sein des BRICS, la Chine tient un poids prépondérant en termes de population et de PIB par habitant (70 % du PIB du groupe). Elle s’impose comme alternative à l’ordre occidental, alors que l’Inde s’allie aux pays occidentaux pour freiner l’expansion de la Chine dans la région Pacifique. La Russie, comme la Chine, voit dans les BRICS une alternative à l’ordre proposé par l’Occident et un moyen de diversifier ses partenaires économiques. Quant à l’Afrique du Sud, au Brésil et à l’Inde, ils ne se prononcent pas, car s’opposer à l’Occident serait risqué pour leur prospérité.

Si les quatre premiers BRICS disposaient d’une population nombreuse, d’une grande superficie, de ressources naturelles et d’une croissance élevée, les futurs nouveaux pays comportent de nombreuses asymétries, rendant les critères d’adhésion au groupe assez flous. On observe de nombreuses différences au niveau démographique. Les Émirats arabes unis ne possèdent que 10 millions d’habitants, alors que l’Éthiopie est le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, avec 128 millions d’habitants.

Il existe également de grandes inégalités économiques entre les nouveaux membres. L’Arabie saoudite, les États-Unis et l’Iran font partie des 10 premiers producteurs mondiaux de pétrole, alors que l’Éthiopie est très pauvre (175e à l’IDH) et l’Argentine est surendettée (plus de 140 % d’inflation en fin 2023).

 

BRICS + 6 face au G7, l’émergence d’un potentiel nouvel ordre mondial ?

Avec cet élargissement, le groupe représentera 46 % de la population mondiale et 29 % du PIB, mais il contrôlera surtout plus de la moitié de la production d’énergies fossiles mondiales. Cela pourrait ainsi donner un second souffle au groupe et l’intégration aux BRICS serait un levier de puissance pour les nouveaux entrants. Cela renforcerait aussi l’idée d’une volonté ou d’un constat d’un monde de moins en moins occidentalo-centré au profit d’une easternization (Gideon Rachman).

En effet, « la Chine veut faire des BRICS un concurrent du G7 », comme l’explique Bruno Philip, et Xi Jinping vient tout justement d’évoquer un « avenir radieux pour les BRICS ». Intégrer de nouveaux membres aux BRICS est en réalité une stratégie pour Pékin de renforcer son influence et de siniser le monde. L’Éthiopie étant par exemple un des symboles de la Chinafrique, puisqu’elle a notamment emprunté 12 milliards de dollars depuis 2000.

C’est aussi un avantage pour Moscou de voir de nouveaux arrivants, car cela permet à la Russie de poursuivre sa stratégie d’isolement diplomatique de l’Ukraine et de rendre légitime son intervention.

 

L’obligation de répondre à des défis

Ceci, sous peine que le monde s’enfonce encore plus dans un « magma illisible » (Pierre Hassner). Si le groupe affirme donc sa volonté de peser sur la gouvernance mondiale, les rivalités historiques entre certains membres du groupe et les divergences stratégiques sont un frein quant à la crédibilité de l’alliance.

L’Inde se méfie par exemple de la Chine et tente de limiter son influence en se rapprochant des Occidentaux en pratiquant une stratégie de néo-containment, via le QUAD par exemple. Les deux géants asiatiques s’affrontent ainsi pour dominer la région. C’est également le cas au Moyen-Orient où l’Iran et l’Arabie saoudite sont en compétition pour être le leader de la région.

Le risque que les membres des BRICS + 6 ne réussissent pas à parler d’une seule voix est donc réel et pourrait créer un désordre mondial plutôt qu’un nouvel ordre dans cette ère post-hégémonique.

Autre problème : l’Iran, qui est sous sanctions américaines, ne peut pas bénéficier de la NBD des BRICS, car les financements s’effectuent en dollars. Intégrer les BRICS ne permettrait donc pas à l’Iran de développer sa puissance.

C’est pour cela qu’à l’heure où la dédollarisation de l’économie s’accélère, la question d’une monnaie commune pour les BRICS + 6 fait surface. Même si le dollar ne devrait pas être remplacé par une autre monnaie, ce serait une opportunité pour la Chine d’internationaliser le yuan. L’Argentine a par exemple annoncé qu’elle allait rembourser une partie de sa dette en yuans.

 

Conclusion

L’adhésion de l’Argentine, des Émirats arabes unis, de l’Arabie saoudite, de l’Iran, de l’Égypte et de l’Éthiopie dès 2024 est une opportunité surtout pour la Chine et la Russie. Cette nouvelle intégration pourrait renforcer l’idée d’un nouvel ordre mondial.

Cependant, cet élargissement sans approfondissement appelle à répondre à de nombreux défis et le risque que les rivalités l’emportent sur les coopérations est probable. L’asymétrie du groupe pourrait être également un problème. Cela ferait naître non pas un nouvel ordre mondial, mais plutôt un désordre mondial.

 

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