Alors même que la question se pose d’un possible déclin de la puissance de l’Occident, l’alignement des pays européens sur la politique des États-Unis semble moins évident qu’il n’a pu l’être auparavant. Il est intéressant de se demander ce qu’il en est de l’atlantisme à l’heure actuelle. Est-ce encore un pilier du système géopolitique mondial ou bien n’est-ce plus qu’un principe de façade pour pallier le manque de cohésion des alliés atlantiques historiques ? C’est ce à quoi nous allons tenter de répondre à travers cet article qui sera divisé en deux parties et traitera deux questions liées à l’actualité de l’atlantisme par rapport aux évolutions de la hiérarchie des puissances géopolitiques. Nous allons réaliser une analyse de sujet ainsi qu’une proposition de plan non détaillé de type dissertation de HGGMC, et ce, pour chaque question développée.
Dans cet article, nous allons traiter de l’atlantisme en lui-même et de son état actuel : forces, faiblesses, résilience, menaces…
Comment définir l’atlantisme ?
Une définition difficile à établir
L’atlantisme est une doctrine qui suppose qu’une solidarité profonde unit, par-delà l’Atlantique, les États-Unis et l’Europe occidentale. D’après Hans Mouritzen, « l’atlantisme s’oppose au continentalisme qui peut être défini comme la tendance à suivre les politiques des grandes puissances européennes, la France et l’Allemagne ».
Selon Olivier Zajec dans La Variable atlantiste, La France, une puissance contrariée, le Larousse, en temps de guerre froide, donne une définition lapidaire de l’atlantisme. C’est la « doctrine des partisans du Pacte de l’Atlantique Nord ». Ainsi, il explique que cela porte à croire que les convictions des « atlantistes » se restreindraient à « l’acceptation passive de la dépendance européenne vis-à-vis des États-Unis. » Or, à en écouter les partisans de cette union, l’atlantisme « n’est pas un fatalisme mais, à bien des égards, un volontarisme » basé sur les valeurs qui rapprochent les deux rives de l’Atlantique.
L’atlantisme touche plusieurs domaines
- Militaire : coopération et soutien au sein de l’OTAN notamment
- Géographique : routes maritimes et voies aériennes qui permettent une union des continents et des flux d’échanges importants
- Culturel : la Bible et les Lumières constituent des piliers pour les valeurs des protagonistes transatlantiques
- Politique : démocratie libérale et capitalisme, surtout en Europe occidentale
- Économique : partenaires commerciaux
Chronologie de l’atlantisme
Si l’on réalise une rapide chronologie de l’atlantisme, on s’aperçoit qu’au XIXe siècle, les États-Unis veulent rompre avec l’Europe et prônent l’isolationnisme. C’est en réalité après la Seconde Guerre mondiale que l’atlantisme naît, et ce, pour contrer la menace soviétique. La doctrine atlantiste date du plan Marshall. Elle naît en 1947 et se concrétise notamment à travers l’OTAN en 1949.
À la fin de la guerre froide, nombre d’experts se posent la question de l’utilité de l’atlantisme puisque le « danger » ennemi a disparu. L’atlantisme a gagné l’Europe de l’Est après que cette région a été déstructurée par le communisme. Il a représenté le libéralisme et la protection. Il s’est progressivement redéfini par rapport aux menaces nouvelles (islamisme radical, cyberguerre, basculement du monde). Toutefois, Obama a lui-même avoué qu’il avait peu d’affinités avec le continent européen, ce qui entre en résonance avec le fait que l’Amérique n’est plus uniquement édifiée sur le modèle de société des WASP.
Aujourd’hui, les intérêts politiques des différents protagonistes semblent ne plus totalement être en accord, des divergences sur la nécessité de renforcer l’alliance atlantique naissent au sein des pays européens notamment. Pendant ce temps, un questionnement important émerge quant à la nature de l’atlantisme : « N’est-ce plus qu’une arme destinée à garantir aux Américains la fidélité et le suivisme de l’Europe ? » (Pascal Gauchon, Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie)
Ainsi, nous nous interrogerons ici sur les forces et les faiblesses de l’atlantisme actuellement, sur ce que l’édifice a conservé de ses appuis du passé. La première question que nous traiterons est la suivante : l’atlantisme reste-t-il, en 2023, un élément incontournable de l’organisation géopolitique mondiale ? (Intitulé de mon ancien professeur de HGGMC, P. Baud)
Brève analyse des termes du sujet
Nous avons déjà énoncé une définition exhaustive du terme atlantisme. C’est évidemment la notion centrale du sujet à ne surtout pas négliger.
Tout d’abord, l’utilisation du verbe rester est intéressante. Cela peut signifier qu’il y a eu une altération, une détérioration, même une destruction de l’atlantisme. Mais alors, par rapport à quand ce constat s’établit-il ?
Ensuite, « l’organisation géopolitique mondiale » est aujourd’hui basée sur différents pôles de puissance affirmés ou en affirmation. On prendra donc en compte la notion de « basculement du monde » qui sera largement développée dans la deuxième partie de cet article. On a de nouvelles puissances (Chine, Russie, BRICS, Arabie saoudite, Iran…) qui dictent leurs propres lois sur le grand échiquier. De ce fait, le normativisme atlantiste est de moins en moins accepté par certains pays (de l’Afrique subsaharienne, par exemple). Ils prônent des valeurs que les autres ne partagent plus, car d’autres acteurs paraissent apporter un modèle de fonctionnement plus adapté à leurs schémas de pensée.
Enfin, il est donc intéressant de se demander si l’atlantisme reste « incontournable », car les Occidentaux ont en un sens modelé le monde du XXe siècle à leur guise et sont intervenus partout sur le globe pour diffuser leurs valeurs et mettre en place leur modèle économique et politique. On s’interroge donc ici autant sur la validité actuelle de ce modèle (deuxième partie de l’article) que sur la capacité des alliés atlantiques à rester soudés pour conserver leur poids géopolitique (première partie de l’article).
Les éléments indispensables pour traiter ce sujet
Le verbe rester induit une dimension chronologique. On effectue le bilan par rapport à un moment passé. Il est donc primordial de réaliser une profondeur historique et de baser notre analyse sur ces éléments.
Attention également à ne pas déborder du sujet en réalisant un tableau de l’organisation géopolitique mondiale actuelle. On doit ici rester centrés sur l’atlantisme et les pays qui sont concernés par ce concept. On peut évidemment inclure dans notre analyse le point de vue des autres pôles de puissance, les rapports de force qui s’instaurent avec les pays atlantistes, mais il ne faut pas en faire le centre de la dissertation.
Enfin, il est à noter que l’atlantisme n’est pas l’aire atlantique. Dans un sujet sur l’aire, il faudrait parler des États de l’Amérique du Sud, mais aussi du fait que les autres puissances, comme la Russie et la Chine, ont plus d’influence que les Européens et les Américains sur d’autres espaces…
D’un point de vue de l’actualité, le retour en force de la Russie donne un aspect particulier au sujet qui invite à s’interroger sur un regain potentiel de l’atlantisme, alors même que la Russie voudrait anéantir l’OTAN. De même, les prises de position des alliés atlantiques face à la reprise du conflit israélo-palestinien témoignent de l’alignement plus ou moins actuel de leurs valeurs/politiques.
Problématique possible
En quoi la solidité des alliances atlantiques et son rôle sur la scène internationale sont-ils remis en question par les évolutions géopolitiques récentes ?
Proposition de plan
I. Si les relations transatlantiques ont permis l’édification d’un groupe géopolitique au poids prépondérant dans la géopolitique du XXe siècle…
A) L’atlantisme, un sentiment établi progressivement, car des racines communes et une envie partagée des deux rives de prospérer et d’être puissantes sur la scène géopolitique…
- Isolationnisme américain au début
- Aide américaine durant les deux guerres
- Culture et valeurs communes : un sentiment de connivence
B) Qui s’est concrétisée au sortir de la Seconde Guerre mondiale : la base de la reconstruction de l’Europe et de sa protection/sanctuarisation (containment)
- Plan Marshall, OCDE et doctrine de « l’endiguement »
- OTAN et militarisation du territoire européen
C) De nouvelles menaces depuis la fin de la guerre froide, donc un besoin de protection/coopération conservé
- Le terrorisme et le besoin de protection
- L’ombre de la Russie : expansion de l’OTAN et du parapluie américain vers l’Europe de l’Est
- Les approvisionnements en énergie : la pertinence de l’atlantisme
II. Leur intensité semble s’être tarie depuis les années 2000, étant donné le moindre intérêt porté à cette structure. Ainsi, l’importance des partenariats atlantistes est moindre, car les perspectives divergent au sein du « chaos multipolaire » (Maurice Vaïsse)
A) L’utilité est questionnée depuis les années 1990 (Russie, valeurs…)
- Fin de l’URSS, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Francis Fukuyama
- Une Europe pacifiée après les Balkans
- Un atlantisme coûteux et peu efficace ? Exemple : l’OTAN en « état de mort cérébrale » selon Emmanuel Macron en 2019 à The Economist.
B) L’émergence de nouveaux pôles de puissance a interrogé sur le déclin de la puissance américaine et donc sur sa capacité à protéger : l’atlantique ne domine plus
- De nouveaux pôles de puissance, de nouveaux partenariats
- De l’Empire bienveillant à l’overstretch américain : un parapluie perméable ?
- La « war fatigue » américaine
C) Et les dernières décennies ont montré des divergences profondes entre les acteurs de l’atlantisme
- Irak et divergences européennes
- Obama puis Trump moins proches de l’Europe, et transformations des États-Unis, Libye et pivot asiatique
- Macron se tourne vers les puissances du « basculement du monde » : Inde, Chine… : visite très critiquée à Xi Jinping durant le printemps 2023, il a affirmé vouloir une autonomie stratégique européenne
- Finalement, des questionnements sur ce qu’est l’atlantisme ? (pays proatlantisme en Europe de l’Est vs sentiment de vassalité de la France, par exemple)
III. Aujourd’hui, la question se pose de la solidité de l’atlantisme face aux menaces qui pèsent sur l’Europe : est-elle un principe de façade ou repose-t-elle sur une amitié profonde ? Va-t-elle vers un renouvellement ?
Selon le Secrétaire général de l’OTAN, il n’existe pas de contradiction entre européanisme et atlantisme, car en fin de compte, l’alliance atlantique n’est pas autre chose qu’une garantie de protection mutuelle entre l’Europe et l’Amérique du Nord.
A) L’Europe de la défense, en construction…
« Si l’Europe ne se réveille pas, elle sera bientôt la proie d’un autre prédateur. » (Sous-entendu autre que la Russie), Louis Gautier (Directeur de la Chaire des grands enjeux stratégiques de Paris 1). Selon de nombreux experts, elle est déjà celle de la Chine.
- Augmentation des budgets de la défense (Allemagne, France…)
- Accords et industrie, exemple : le char du futur franco-allemand est en bonne voie
- Une réunion des acteurs européens, exemple : le choix historique du Danemark de rejoindre la défense européenne
B) S’est trouvée face à la guerre qui a fait l’effet d’un détonateur et engendre une réotanisation de l’Europe : le sentiment d’atlantisme renaît face aux crises ?
« Nous vivons un sursaut européen. » Charles Michel, L’Europe, une puissance en devenir ? (Le Grand Continent) (2022)
- L’invasion de la Crimée, la Géorgie puis la guerre en Ukraine : un électrochoc pour l’Europe de la défense
- Biden veut recréer une unité occidentale autour de l’OTAN
- Une « otanisation » de certains pays (Finlande, Suède…) européens qui craignent la Russie
C) L’atlantisme : une « arme » destinée à garantir aux Américains la fidélité et le suivisme de l’Europe ? Un organisme en état de « mort cérébrale » (Macron) ? Un renouvellement à entreprendre ?
On pourra réaliser ici une prospection sur le futur de l’atlantisme et différents avis de géopolitologues sur la question. Pour cela, je t’invite à te référer à la bibliographie indicative en fin d’article.
On pourrait par exemple évoquer le discours très controversé d’Emmanuel Macron sur Taïwan au printemps 2023, lorsqu’il affirmait que les affaires taïwanaises ne concernaient en aucun cas les pays européens, et qu’il a clairement affirmé « qu’être allié ne signifie pas être vassalisé ». Il a confié à l’américain Politico que « la pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes ».
Conclusion
Dans cet article, nous avons fait un état des lieux de l’atlantisme en 2023. Nous avons montré que cette doctrine a soudé les alliés américains et européens au XXe siècle et continue d’être un puissant pilier pour ces pays qui se soutiennent et coopèrent parce qu’ils sentent entre eux des points communs.
Toutefois, la pertinence de l’atlantisme semblait s’être amoindrie depuis la fin de la guerre froide, et les volontés politiques et économiques des partenaires divergent. Finalement, dans un monde où les pôles de puissance changent, où les rapports de force basculent en partie en défaveur de l’Occident, on se pose la question de la pérennité de l’atlantisme, alors même que la guerre en Ukraine semble avoir mis en lumière le besoin de défense, et donc de protection, des Européens.
Mais alors que se passera-t-il après la guerre compte tenu de la montée en puissance d’empires autoritaires dans le monde ? Nous approfondirons cette question dans un prochain article.
En attendant, nous espérons que cet article pourra t’être utile. Tu peux retrouver tous nos articles de HGGMC ici et compléter la lecture de cet article par celle d’autres ouvrages et articles en lien. En voici une liste non exhaustive.
Que lire pour approfondir ces idées ?
- « Le nouveau superatlantisme danois : une interprétation géopolitique », Revue internationale et stratégique, Hans Mouritzen, 2006
- Revue défense nationale
- La Variable atlantiste, La France, une puissance contrariée, Olivier Zajec
- Nicolas Baverez (décliniste français), Démocraties contre empires autoritaires
- « L’Union européenne malade de l’atlantisme », Le Monde diplomatique, Bernard Cassen (2003)
Dans un prochain article, nous nous intéresserons à la perception qu’ont les autres puissances de cette doctrine atlantiste, et nous verrons comment elle est progressivement remplacée au gré du déplacement des pôles de gravité de la puissance mondiale.
N’hésite pas à consulter toutes nos ressources de géopolitique.