théorie quantitative

La théorie quantitative de la monnaie (TQM) constitue une théorie monétaire incontournable de la pensée économique depuis des siècles maintenant. Elle a guidé la politique monétaire depuis 1970, mais semble de moins en moins pertinente depuis 2008. Cet article te sera essentiel pour traiter une large panoplie de sujets de dissertation. La TQM peut être mobilisée afin de réfléchir sur des questions générales liées à la monnaie, mais aussi sur l’inflation ou les politiques conjoncturelles. Par ailleurs, cette théorie monétaire néoclassique apparaît énormément dans les sujets d’oraux, que tu pourras avoir en colle ou alors durant les concours, comme tu le verras en fin d’article.

 

Historicité de la théorie quantitative de la monnaie

Une intuition ancienne

Même si de nombreuses théories monétaires ont existé avant l’émergence de la théorie quantitative de la monnaie, la première intuition de la TQM vient du mercantiliste Bodin en 1568 dans sa Lettre à M. De Malestroit. En 1566, De Malestroit pensait que l’inflation espagnole provenait de la manipulation des taux de change par les États pour faciliter le remboursement des dettes. Bodin le contredit dans sa lettre, en considérant que cette inflation venait d’une entrée d’or en Espagne.

Ceci conduit à une hausse du sentiment de richesse en Espagne, et donc à une hausse de la demande puis à une hausse des prix, selon la loi des débouchés. Cette inflation va ensuite se transmettre à toute l’Europe du fait de la sortie d’or espagnol provoquée par son déficit commercial.

 

Des origines en débat

Alors que les mercantilistes  considèrent l’or comme source de richesse (à l’exception de Bodin), Say et ceux qui défendent la loi des débouchés ont postulé le fait que la monnaie ne serve qu’à faciliter les échanges et que cette dernière n’est pas désirée pour elle-même. 

Par ailleurs, le champ d’analyse de la monnaie est essentiel pour comprendre la théorie quantitative de la monnaie. Ce débat renvoie à l’opposition entre le Currency Principle (Ricardo) et le Banking Principle (Say). La première école admet que la monnaie fiduciaire est une monnaie comme les autres, et donc qu’il faut fixer sa création sur les disponibilités en encaisses métalliques. Le Banking Principle défendait au contraire l’idée que le billet n’est pas un moyen de paiement et que sa création doit seulement être déterminée par les besoins de financement des agents.

Il y a derrière ce débat une première querelle sur les liens entre monnaie et inflation. Pour le Currency Principle, le billet est une vraie monnaie, donc son émission conduit à une baisse de la valeur monétaire, puis à une hausse des prix. Pour le Banking Principle, l’émission n’est que de court terme et sera remboursée ; la monnaie disparaîtra et ne peut pas générer de l’inflation.

Un second débat derrière cette querelle entre le BP et le CP est celui d’une vision exogène ou endogène de la monnaie. Tandis que le BP considère que la demande de monnaie est endogène à l’activité économique, le CP postule que la création monétaire est exogène, ce qui sera repris par la TQM.

 

Formulations et équations de la théorie quantitative de la monnaie

Définir et comprendre la TQM

Pour donner une définition synthétique et qui peut regrouper tous les penseurs ayant réfléchi à la théorie quantitative de la monnaie, cette théorie renvoie à l’idée de penser que, toutes choses égales par ailleurs, la hausse de la quantité de monnaie en circulation engendre de l’inflation.

La première formulation de la théorie quantitative de la monnaie vient de Fisher en 1911 (Le Pouvoir d’achat de la monnaie). Comme la monnaie n’est pas désirée pour elle-même, elle sera forcément utilisée par les agents. Ceci implique qu’une hausse de la monnaie entraîne une hausse de la demande, ce qui engendre une hausse des prix dans la vision néoclassique. Ainsi, toute création monétaire sans demande préalable entraîne de l’inflation.

 

Formaliser la TQM

Pour formaliser cela, trois différentes équations, dites équations quantitatives, ont été pensées par des auteurs. Tout d’abord, Fisher considère que l’on a tout le temps l’égalité MV = PT (M = unités de monnaie en circulation, V = vitesse de circulation, P = prix, T = volume de transaction). Or, au plein emploi des facteurs de production, les hypothèses néoclassiques supposent que V et T sont stables. Ceci engendre qu’une hausse de M aura forcément comme impact une hausse de P afin de garder l’égalité. Dit autrement, une hausse de la monnaie en circulation fait augmenter les prix.

Pigou propose en 1917 (The Value of Money) une autre équation quantitative, en remplaçant simplement le volume de transaction par le revenu global Y. Ainsi, l’équation s’écrit MV = PY et Y est aussi supposé stable. 

Enfin, l’équation de Cambridge est suggérée par Pigou et Marshall en 1920 et se situe dans une logique différente. Cette équation permet de connaître le nombre d’unités de monnaie nécessaire dans l’économie et s’écrit M = kPY (k = 1/V, appelé le taux de liquidité dans l’économie).

 

Réactivation de la TQM

Dans A Monetary History of the United States, Friedman réactive la théorie quantitative de la monnaie en dénonçant « l’erreur de la Fed». Il considère que la crise de 1929 est une crise monétaire qui prend naissance dans la fragilité du système bancaire américain. En effet, cette crise a entraîné la disparition de la moitié des banques. Ce qui a fortement limité la création monétaire, entraînant donc une déflation (d’où la TQM).

Dans le même temps, les salaires étaient stables pour des raisons de légitimité. Ce qui a conduit à des faillites en masse et à un enfermement dans la déflation. Pour lui, la Fed a fait une erreur étant donné qu’elle n’a pas mis en circulation plus de monnaie centrale. Ce qui aurait augmenté la monnaie en circulation et ainsi les prix.

 

Implications de la théorie quantitative de la monnaie

Sur la neutralité de la monnaie

Contrairement à la pensée keynésienne qui voit la monnaie comme active, c’est-à-dire que la sphère monétaire a un impact sur la sphère productive, la TQM postule que la monnaie est neutre. L’inflation constitue dans cette théorie un processus purement et uniquement monétaire.

Les penseurs de la TQM pensent que la monnaie est comme un « voile », nous sommes dans une situation de dichotomie forte. En effet, l’inflation affecte aussi les prix des facteurs de production dans la théorie et tous ces prix augmentent au même rythme. Ce qui implique que la combinaison productive n’est pas modifiée (TMST [taux marginal de substitution technique] = Prix du travail/Prix du capital).

Dans les premières formulations de la théorie quantitative de la monnaie (Fisher, Pigou), la monnaie est tout le temps neutre en raison des ajustements immédiats. Mais ce n’est pas le cas pour tous les penseurs de la TQM.

 

Sur l’efficacité des politiques de relance

Le monétariste Milton Friedman n’est pas aussi drastique sur cette vision de la monnaie comme neutre. Dans The Role of Monetary Policy, ce dernier distingue le long terme du court terme. Suite à une politique de relance monétaire (hausse de la monnaie en circulation), il y a deux effets à court terme

  • effet prix : hausse des prix (celui de la TQM) ;
  • effet quantité : du fait de l’illusion monétaire, les salariés ne voient pas directement la baisse de leur salaire réel. Donc, les coûts de production baissent et les producteurs embauchent, ce qui fait baisser le chômage.

 

Ainsi, à court terme, la monnaie n’est pas neutre, étant donné qu’elle permet de faire baisser le chômage et de relancer l’activité. Cependant, à plus long terme, du fait d’anticipations adaptatives (Cagan), les agents vont se rendre compte de cette baisse du salaire réel et demandent une hausse de salaire. Ce qui engendre des licenciements, donc une baisse de la production. La monnaie redevient neutre à long terme chez Friedman et les politiques de relance perdent leur efficacité pour lutter contre le chômage.

C’est justement cette inefficacité qui justifie une priorité accordée à l’inflation par les monétaristes, plutôt qu’au chômage.

 

Sur la vision de l’inflation et les politiques de lutte

La TQM constitue le cadre de toute la politique monétaire après 1970, sous l’impulsion des thèses monétaristes. Cette influence de la TQM se voit à travers de nombreux exemples, que ce soit en Europe ou aux États-Unis. 

L’exemple le plus marquant d’utilisation de la TQM aux États-Unis est le « choc Volcker » de 1979, qui désigne la remontée des taux directeurs à 19 % par le gouverneur de la Fed afin de lutter contre l’inflation. Nommé en 1979 par Carter, Volcker était un fervent défenseur des thèses monétaristes et considérait que l’inflation devait être la priorité de la Fed. La première tentative de Volcker fut un échec. La forte hausse des taux directeurs n’a pas conduit à de la désinflation, mais a plongé l’économie américaine dans une récession, qui dure jusqu’en juillet 1980 de par la relative souplesse de la politique monétaire restrictive.

Ainsi, le « choc Volcker », bien que médiatisé, a constitué un échec à la fois sur le plan national qu’international (crise de la dette en Amérique latine). C’est finalement à partir de décembre 1980, avec des taux à 19 % et une inflation à 12 %, que la désinflation commença. En mettant réellement de côté le chômage (hausse de 2,5 % entre 1981 et 1982), cette politique a fait baisser l’inflation à 4 % en 1982.

Par ailleurs, la BCE, pour respecter son objectif d’une inflation inférieure mais proche des 2 %, possède des objectifs intermédiaires. Parmi ces derniers figure un objectif de création monétaire. Ce qui témoigne effectivement d’une influence de la TQM sur la vision des liens entre monnaie et inflation.

 

L’actualité de la théorie quantitative de la monnaie

Une crise de 2008 qui rend l’économie keynésienne, en mettant de côté la TQM

Même si Friedman avait plaidé pour une intervention massive des Banques centrales suite à la crise de 2008 (erreur de la Fed), elle n’aurait pas dû être permanente. Or, après la crise de 2008, les Banques centrales ont, en plus de politiques de QE, eu des taux d’intérêt presque nuls pendant près d’une décennie. La TQM est ainsi remise en cause dans la mesure où cette « monnaie infinie » n’a pas eu d’impact sur l’inflation, mais elle a eu effectivement un effet positif sur la production. 

Dès lors, depuis 2008, la TQM est remplacée par la pensée keynésienne sur les politiques de relance monétaire. En effet, Keynes, en s’opposant à la TQM, considérait que la monnaie est active et non neutre. Selon lui, le taux d’intérêt compense la préférence pour la liquidité, c’est donc le prix de la monnaie. Or, le taux d’intérêt est aussi un large déterminant de l’investissement chez Keynes. Ainsi, une hausse de la monnaie en circulation entraîne une baisse du taux d’intérêt, qui augmente l’investissement, comme le montre le modèle IS-LM.

 

Une inflation actuelle qui met à mal la TQM ?

Alors que Friedman déclarait que « l’inflation est partout et toujours un phénomène monétaire », la TQM semble remise en question par l’inflation que nous vivons. En effet, les taux d’intérêt étant proches de zéro depuis de nombreuses années, ce sont de nouvelles explications qui ont pris le dessus. L’inflation par l’offre est plus pertinente aujourd’hui pour analyser la montée des prix. 

Ainsi, pour remettre en cause la TQM aujourd’hui, Patrick Artus prend l’exemple de la crise de la Covid-19 et de l’inflation. Selon lui, les politiques de quantitative easing menées dans l’Union européenne n’ont pas été la cause de l’inflation, mais elles ont permis d’éviter la déflation après la crise des dettes souveraines.

 

Le passage d’une approche multiplicateur à une approche diviseur

Ce dernier point vient remettre en cause l’exogénéité de la monnaie utilisée dans la TQM. Ainsi, Friedman pensait que pour éviter la déflation, il suffisait que le président de la Banque centrale jette de la monnaie de son hélicoptère (cette phrase tombe souvent aux oraux). Or, pour que la TQM fonctionne dans ce cadre, nous devons nous situer dans une approche multiplicateur. Cela signifie que c’est la création de monnaie par la Banque centrale qui détermine la création par les banques. Ainsi, l’offre de monnaie est exogène et les banques secondaires ne sont que des intermédiaires négligeables.

Alors qu’avant la crise des subprimes, c’est cette logique qui l’emportait, la tendance semble s’être inversée. La logique diviseur prend le dessus, c’est-à-dire que la création monétaire dépend des banques de second rang, en fonction de la demande des agents. En effet, selon Patrick Artus en 2012, dans le régime « normal » (pré-2008), la base monétaire et la masse monétaire varient au même rythme (donc logique multiplicateur). Mais aujourd’hui, les banques de second rang ne réagissent plus à la création monétaire de la Banque centrale. Ceci constitue alors une remise en cause de la logique multiplicateur et donc de la TQM.

 

Quelques sujets qui font appel à la TQM

Je te présente ici quelques sujets d’oraux ou d’écrits qui nécessitent une maîtrise de la TQM. Dans ces sujets, cette théorie est un attendu et ne pas la citer ou la détailler serait souligné par le jury. 

À l’écrit : 

2023 : « Le premier objectif de la Banque centrale est d’assurer la stabilité des prix », traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

2021 : Un monde sans inflation

2007 : L’inflation est-elle toujours et partout un frein à la croissance économique dans les pays développés ?

2016 : Les États ont-ils encore à arbitrer entre chômage et inflation ?

À l’oral : 

Inflation et croissance (HEC 2022)

L’équation quantitative de la monnaie a-t-elle encore un sens ? (HEC 2022)

Monnaie et inflation (HEC 2021)

La courbe de Phillips depuis les années 1950 (HEC 2021)

Qui crée la monnaie ? (ESCP 2021)