dollar

La dédollarisation qui peine à se produire peut-elle toujours être considérée comme une hypothèse réaliste ? Voici la suite de notre précédent article, que tu peux retrouver ici.

 

En dépit des intérêts et des actions dans le sens d’une dédollarisation, celle-ci est-elle possible ?

Quelles alternatives au dollar ?

Pour réfléchir au phénomène de dédollarisation, il est nécessaire de s’intéresser aux alternatives qui existent au dollar. Dans un espace géopolitique international fragmenté et divisé, l’hypothèse d’une monnaie mondiale semblable au Bancor imaginé par Keynes semble assez peu probable.

En effet, une telle monnaie avait été proposée à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, lors d’un moment de coopération forte entre les pays rattachés aux États-Unis. Par ailleurs, les droits de tirage spéciaux (DTS) n’ont pas réussi à réellement s’imposer comme une alternative crédible au dollar. Il faut alors réfléchir aux concurrents les plus crédibles au dollar : l’euro et le renminbi chinois.

 

L’Euro ne représente pas un concurrent crédible

L’euro est une grande monnaie régionale et la deuxième monnaie la plus accumulée en réserves après le dollar (l’euro constitue 20 % des réserves). Bien que l’euro ait récemment perdu de la valeur, il est tout de même considéré comme une monnaie stable. Cependant, beaucoup de facteurs font qu’il paraît compliqué de voir dans l’euro un concurrent crédible au dollar.

Tout d’abord, la monnaie internationale se doit d’être doublée d’un marché d’actifs sûrs, profond et très liquide. C’est le rôle que remplit le marché obligataire des « treasuries » pour le dollar. Or, le marché d’obligations d’États en euros est segmenté. Il n’existe pas réellement de dette commune des États en euros qui pourrait permettre de compenser la liquidité plus faible des titres de dette des États les moins développés de la zone.

Cependant, certains pourraient argumenter que le plan NextGenerationEU et que la création d’« eurobonds » accompagnant ce plan peuvent être les premiers piliers de la construction d’un tel marché obligataire de dette commune.

En outre, alors que la monnaie internationale se doit d’être une monnaie refuge en cas de panique, l’euro n’est pour l’instant pas perçu comme tel. Les possibles désaccords entre États par rapport aux décisions sur l’euro et l’absence d’une hiérarchie claire entre les pays ou les institutions ne participent pas à faire de l’euro une monnaie refuge. Finalement, on pourrait questionner la volonté des dirigeants européens de faire de l’euro une monnaie internationale.

 

Le renminbi et la question de l’internationalisation d’une monnaie

Le renminbi peut aussi apparaître comme une alternative possible. Tout d’abord, la volonté d’internationaliser leur monnaie semble plus forte chez les autorités chinoises que chez les autorités européennes. Il y a cependant un débat, notamment sur la manière dont une monnaie devient internationale.

 

L’internationalisation du renminbi et la nécessité d’ouverture

L’économiste Michael Pettis soutient que le fait d’émettre une monnaie internationale implique pour un pays une ouverture conséquente, et notamment une convertibilité importante du compte de capital. Ce qui implique une forte libéralisation des mouvements de capitaux.

En effet, sans cette ouverture, les autres pays auraient moins intérêt à acquérir cette devise, car celle-ci serait moins facilement échangeable. Or, les autorités chinoises semblent, selon lui, peu enclines à accepter de telles concessions. Ce qui est un obstacle majeur à l’internationalisation du yuan. Ainsi, dans cette vision de l’internationalisation d’une monnaie, le renminbi ne peut constituer une alternative crédible au dollar.

 

Une internationalisation sans ouverture ?

Or, Barry Eichengreen soutient néanmoins qu’une internationalisation du renminbi est possible sans libéralisation du compte de capital. On retrouve cette idée dans le document de travail numéro 892 de la Banque de France qu’Eichengreen a coécrit en 2022. Selon les auteurs du document, l’internationalisation du renminbi peut venir de l’importance des liens commerciaux chinois. On observe historiquement que les monnaies de réserves internationales ont d’abord été des monnaies de facturation et de règlement. Or, il y a de plus en plus de transactions qui se font en renminbi.

En outre, les auteurs observent une corrélation entre les échanges facturés en renminbis entre la Chine et un autre pays et la propension de cet autre pays à détenir des réserves en renminbis. Ainsi, malgré le fait que la convertibilité du compte de capital chinois soit faible et grâce à l’importance des liens commerciaux chinois, de plus en plus de pays détiennent des réserves en renminbis.

Cependant, pour que les pays souhaitent réellement détenir du renminbi en réserve et que cette accumulation ne découle pas seulement des échanges mais d’une volonté, il faut que la Chine soit capable de garantir la valeur de sa monnaie. Cela est notamment possible grâce à l’importance des réserves en dollars de la Chine elle-même, qui peut donc avoir une influence suffisamment importante pour garantir la valeur du renminbi.

Ainsi, selon les auteurs, le dollar serait une des conditions de l’internationalisation du renminbi. Le dollar et le renminbi peuvent donc être complémentaires. Dans cette vision, même si le renminbi venait à gagner en importance, le dollar resterait nécessaire dans ce processus et il n’y aurait pas à proprement parler une dédollarisation, mais seulement une internationalisation du renminbi.

 

Il existe des forces d’inertie qui participent à la suprématie du dollar

Ainsi, les concurrents au dollar ne semblent pas suffisamment crédibles. À ce manque de concurrents, Carl Grekou ajoute, dans son article « Un dollar contesté, mais toujours pas détrôné », deux autres raisons qui font que la dédollarisation n’aura pas lieu prochainement. Nous avons déjà mentionné le fait que le marché des actifs américains en dollar était profond et sûr. C’est tout particulièrement le cas des « treasuries ».

 

Il existe des externalités de réseau très puissantes à l’utilisation du dollar qui sont le fruit de l’histoire

De manière plus simple, comme tout le monde utilise le dollar, on a intérêt à l’utiliser. Il existe une inertie liée à ces externalités de réseau qui rend une dédollarisation peu probable. Pour illustrer cela, on peut reprendre une idée énoncée par Immanuel Wallerstein. Celui-ci soutient qu’on a observé dans l’histoire que la construction de l’hégémonie d’un pays se faisait selon trois étapes successives, qui se déroulent toujours dans le même ordre.

Dans un premier temps, le pays acquiert l’hégémonie productive avant d’acquérir ensuite l’hégémonie commerciale et enfin l’hégémonie monétaire. Or, un pays perd son hégémonie selon ces trois étapes aussi et dans le même ordre. Il existe des forces d’inertie liées notamment aux externalités de réseau qui prolongent l’hégémonie monétaire d’un pays même après son déclin productif et commercial. Comme ce fut le cas pour la Grande-Bretagne au début du XXᵉ siècle. Les États-Unis ont peut-être moins d’avance qu’auparavant sur leurs rivaux d’un point de vue productif et commercial, mais selon ce schéma, le dollar devrait rester la monnaie internationale pour un moment encore.

 

Finalement, bien que l’on puisse facilement identifier que les pays, pour des raisons différentes, pourraient avoir intérêt à un processus de dédollarisation, une telle évolution ne semble pas vraiment envisageable dans un avenir proche. Même si des substituts au dollar peuvent apparaître et favoriser en partie un rééquilibrage partiel du SMI, le dollar est amené à conserver la place la plus importante.

 

Sources

Grekou, « Un dollar contesté, mais toujours pas détrôné » dans L’Économie mondiale 2021

Laïdi, Le Droit, nouvelle arme de la guerre économique

Klein, Pettis, Les Guerres commerciales sont des guerres de classes

Eichengreen, « Is de-dollarisation happenning? », VoxEU

Serkan Arslanalp et Chima Simpson-Bell, « La part du dollar dans les réserves de change mondiales atteint son niveau le plus faible en 25 ans », FMI

Document de travail numéro 892 de la Banque de France