L’abondance, loin d’être un âge d’or, est source de crises (politiques, géopolitiques, économiques, sociales, environnementales, financières, économiques, etc.). Dès lors, quelles solutions faut-il mettre en œuvre pour les résoudre ?
« Le problème économique peut être résolu, ou sa solution peut au moins être en vue, d’ici cent ans […] toutefois il n’est point de pays ni de nation qui puisse, je pense, voir venir l’âge de l’abondance et de l’oisiveté sans craindre. » Keynes, Perspectives économiques pour nos petits-enfants, 1930
Aujourd’hui, le problème est l’abondance et non la rareté. Il faut sortir du prisme millénaire de la rareté. Trop tue plus que pas assez. En 2020, on meurt trois fois plus d’obésité que de malnutrition. Le tabac et l’alcool tuent 20 fois plus d’humains que la faim. Trop de rejets, trop de déchets, mettant la planète et les écosystèmes en péril. Trop de monnaie entraînant entre autres la crise de l’inflation.
Nous entrons dans un âge d’abondance
Jusqu’en 1750, l’humanité se situait dans l’ère de la rareté. Mais depuis la première Révolution industrielle, l’humanité et les économies ont basculé dans l’ère de la croissance. Cela a entraîné un enrichissement et une abondance certaine.
Les causes de cette entrée dans l’âge de l’abondance
Les mécanismes sont simples et connus de tous : le progrès technique permet la robotisation, engendrant une hausse de la productivité, et donc de la compétitivité des entreprises. Ce qui permet une hausse drastique des quantités vendues, faisant chuter les prix et rendant les biens et services accessibles à tous. La mondialisation a aussi joué un rôle dans cette fulgurante baisse des prix.
Par exemple, au XVIIe siècle, il fallait entre 3 et 4 heures de travail pour produire 1 kg de blé. Aujourd’hui, il faut trente secondes (le temps a été divisé par 400). De même, pour la fabrication de glaces (pour la galerie des Glaces à Versailles), au XVIIe siècle, il fallait 45 000 heures de travail d’un manœuvre. Aujourd’hui, il faut juste 3 heures (le temps a été divisé par 15 000). Seul le prix de la coupe de cheveux homme est restée stable (car la technologie n’a pas évolué).
Les conséquences semblent très positives
La malnutrition est la plus basse jamais enregistrée : elle est passée de 35 % en 1970 à 11 % en 2020. Les pauvres aujourd’hui mangent trop et mal. Les pénuries ne sont plus du côté de l’offre mais de la demande. Des biens autrefois très chers deviennent gratuits, comme l’éducation et la santé. On assiste à une hausse certaine du niveau de confort.
L’abondance est aussi technologique : avec la loi de Moore, la puissance de calcul double environ tous les deux ans, ce qui entraîne une déflation des valeurs technologiques de 50 % tous les ans. C’est ce que Ray Kurzweil appelle la « loi des rendements accélérés ».
L’inflation sur 200 ans est une illusion
Selon François-Xavier Oliveau, nous avons toujours l’impression d’une hausse des prix, alors que ceux-ci ne cessent de baisser. En effet, la base monétaire a augmenté en moyenne de 5 à 7 % par an ces 200 dernières années et les prix n’ont eu de cesse de baisser. Or, les salaires ont augmenté bien plus vite que la base monétaire et le pouvoir d’achat des ménages n’a cessé d’augmenter. Il est clair que, sur une période de 200 ans, il n’y a guère eu d’inflation.
Attention, cet ouvrage a été publié en 2020, donc après un demi-siècle de stagflation, juste avant la séquence d’inflation que nous vivons en ce moment. La réflexion qui suit est donc à remettre dans son contexte.
Mais cet âge d’abondance entraîne une triple crise
« Plus, moins cher, sans nous » :
- « plus » : c’est la crise de la terre ;
- « moins cher » : c’est la crise de l’argent ;
- « sans nous » : c’est la crise du travail.
La crise de la terre
Il faut déconstruire le prisme de la rareté de Malthus (1803), d’Ehrlich (1968) et du Rapport Meadows (1972). Ces théories ne sont aujourd’hui pas vérifiées, dans le prisme actuel de l’abondance.
En effet, les prix des minerais ne cessent de diminuer et nous sommes encore très loin d’avoir exploité tous les minerais de la croûte terrestre. De plus, loin de manquer de nourriture, l’humanité fait aujourd’hui plutôt face à une crise de surproduction. En effet, l’innovation technologique a permis de générer des gains de productivité exponentiels de la terre, entraînant une hausse des rendements agricoles, engendrant cette crise de surproduction.
C’est aujourd’hui une crise du gaspillage et d’excès que nous avons à résoudre plutôt qu’une crise de rareté. La crise principale aujourd’hui reste l’augmentation de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre à cause de l’abondance et des découvertes technologiques, énergétiques. Plus on est riche, plus on pollue.
La crise de l’argent
Ici, la crise est double. C’est d’abord une augmentation des inégalités. L’argent est abondant mais mal réparti. La baisse des prix met la pression sur les banques centrales pour émettre davantage de dettes. Cela entraîne une hausse des prix des actifs et donc l’enrichissement des riches et l’appauvrissement des plus pauvres. On ne prête donc qu’aux riches et c’est l’origine financière des inégalités.
Mais c’est aussi une trop grande quantité d’argent dans l’économie. Dans une logique purement monétariste, F.-X. Oliveau montre que la quantité de monnaie doit être équivalente au volume de richesses créées, afin de garder une stabilité des prix. Comment les banques centrales cherchent-elles à atteindre cet objectif ? En baissant les taux d’intérêt (ce qu’elles ont fait depuis 40 ans). On compense la baisse des prix et l’abondance par une baisse des taux d’intérêt. Mais ce système ne fonctionne pas, car avant l’inflation conjoncturelle de 2020-2021, les banques centrales avaient du mal à atteindre une inflation de 2 %…
La solution de « la crise de l’argent » réside dans le dividende monétaire, que nous étudierons dans la conclusion.
La crise du travail… et de l’homme
La robotisation et la technologie prennent depuis deux siècles la place du travailleur. Or, si le travail humain est remplacé par celui des machines, nos vies perdent de leur sens… La crise du travail est avant tout une crise morale.
Dès lors que l’on considère que le travail a une vertu sociale, si l’homme ne travaille plus, il perd le sens de sa vie. Par exemple, en 1841, on était à 70 % de temps de travail sur une vie. Aujourd’hui, on est autour de 12 %.
Quelles solutions mettre en place pour apprivoiser l’abondance ?
Les mécanismes économiques actuels (taux d’intérêt, salaires) ont été créés dans l’économie de la rareté, pour allouer de la meilleure façon possible les ressources rares (c’est la définition de l’économie). Mais aujourd’hui, ces mécanismes ne sont plus adaptés à la société d’abondance dans laquelle nous vivons. On ne pourra pas régler les problèmes de l’abondance avec les outils qu’on a développés dans la rareté. Dès lors, il est nécessaire de mettre en place de nouveaux outils pour apprivoiser les crises et faire face à la nouvelle société d’abondance. C’est une démarche purement normative que F.-X. Oliveau nous livre.
Une mauvaise solution serait de rejeter l’abondance, de « dire non au marché, non au progrès, non à la démocratie, non à la croissance ». Une autre mauvaise solution serait de dire « vive la croissance » et de courir aveuglément en avant…
La bonne solution est double :
- le dividende monétaire (une sorte de revenu universel) : c’est un outil très libéral pour stabiliser les prix sans creuser les inégalités. Il consiste en un versement d’argent mensuel aux résidents de la zone euro, sans contrepartie, pour compenser l’inflation. On crée de la monnaie de façon définitive. C’est un dispositif de l’abondance ;
- la fiscalité environnementale : en s’appuyant sur le principe de pollueur-payeur de Pigou. Si l’agent qui crée de la richesse crée aussi de la population, du désagrément pour autrui, des externalités négatives, il doit le rétribuer à la société par une taxe.
Tout cela permet à chacun d’utiliser à sa guise les grains de l’abondance, comme le loisir ou l’épargne.