rente

Dans sa définition la plus simple, la rente est un revenu venant d’un avantage injustifié et se différencie du profit, car elle ne dépend pas d’un capital productif. Souvent considérée comme excessive et injuste aux yeux de l’opinion publique, la rente est au centre de nombreux débats économiques et politiques.

Les notions de la rente

Un rentier est généralement une personne ou une entité qui tire des revenus réguliers d’un actif ou d’une position économique sans avoir à fournir un travail ou un effort supplémentaire significatif. Ces rentes peuvent être issues de diverses sources telles que des monopoles, des subventions gouvernementales, des barrières à l’entrée du marché, ou encore une conjoncture économique avantageuse.

Depuis la révolution industrielle, la place et le visage du rentier ont fortement évolué, il est donc difficile d’en donner une définition unique. Cependant, le rentier peut être caractérisé par le rôle particulier qu’il occupe dans l’économie. Souvent considéré comme un profiteur, il est parfois glorifié en tant qu’investisseur tel un moteur de l’économie. Dès lors, les rentiers mettent en avant des enjeux d’inégalités et de concurrence aussi historiques que contemporains.

Rente et monopole

La rente émane le plus souvent d’un monopole, c’est-à-dire une situation de marché où un seul vendeur fait face à une multitude d’acheteurs. Dans un monopole, l’entreprise monopolistique a un pouvoir de marché considérable, ce qui lui permet notamment de dicter les prix et les quantités produites. En l’absence de concurrents, l’entreprise monopolistique peut augmenter les prix au-dessus du prix d’équilibre qui prévaudrait dans un marché en situation concurrentielle. Cette différence entre le prix de vente et le coût marginal de production représente la rente de monopole.

La plupart des rentes peuvent être attribuées à des situations de monopole, qu’il soit pur (un seul vendeur) ou partiel (oligopole, où quelques vendeurs dominent le marché). Le contrôle du marché permet aux monopoleurs de générer des rentes en profitant de leur position privilégiée pour augmenter les prix ou maintenir des marges bénéficiaires élevées. Par exemple, la situation des propriétaires rentiers décrite par Ricardo est en partie due au monopole des rentiers plus qu’aux spécificités du marché des terres agricoles.

En plus, les rentes perçues grâce à un monopole ou à une situation oligopolistique découragent l’innovation et l’investissement dans de nouvelles technologies. Les individus ou les entreprises avec un fort pouvoir de marché peuvent faire du profit facilement sans apporter de valeur ajoutée. Ils sont donc moins incités à innover ou à améliorer leur productivité.

Les rentes issues de monopoles et d’oligopoles ralentissent la croissance économique en réduisant les incitations à investir et à entreprendre. Lorsque les marchés sont dominés par des acteurs qui perçoivent des rentes, il devient plus difficile pour de nouveaux entrants de concurrencer et de limiter le cercle vertueux de la concurrence. Cela peut mener à des prix plus élevés, à une qualité inférieure des produits et des services, et à une moindre diversité des choix pour les consommateurs.

Le principal moyen de L’État pour lutter contre les rentes est d’entraver la création de monopoles. Dès lors, une politique de concurrence est une politique de lutte contre la rente. Ainsi, la réduction des barrières à l’entrée, l’interdiction des aides d’État, le contrôle des concentrations, l’interdiction de collusion et l’entente entre les entreprises et l’interdiction de position dominante limitent la création de nouvelles rentes.

La rente : entre inégalités et investissements

Combattre les rentes est crucial pour promouvoir une économie plus efficiente et égalitaire, où les ressources sont allouées de manière productive et où les bénéfices de la croissance économique sont partagés. En effet, les rentes sont la cause d’une mauvaise allocation des ressources et creusent les inégalités. En effet, elles bénéficient souvent à une minorité de privilégiés profitant de la richesse sans contribuer à l’économie de manière proportionnelle à leurs gains, ce qui peut aggraver les disparités de revenus et de richesse en récompensant des comportements non productifs.

Malgré toutes ces critiques à son encontre, le rentier reste un acteur essentiel de l’économie. En effet, les rentiers sont généralement des individus ou des institutions qui ont accumulé une certaine quantité de richesse sous forme d’épargne, laquelle est ensuite investie pour générer des revenus passifs, principalement sous forme d’intérêts, de dividendes, ou des loyers. Les rentiers fournissent donc une source essentielle de capital pour l’investissement dans l’économie.

En plaçant leur argent dans des banques, des obligations ou d’autres instruments financiers, ils permettent aux institutions financières de prêter cet argent à des entreprises et à des entrepreneurs. Ces prêts sont essentiels pour financer des projets d’infrastructures, des nouvelles entreprises et des expansions d’entreprises existantes. Sans le capital fourni par les rentiers, il serait beaucoup plus difficile pour les entreprises d’accéder aux fonds nécessaires pour innover et croître. Comme vu plus tôt, la rente émane souvent d’un monopole ou plus précisément d’une niche de marché. Dès lors, la recherche de niches à l’abri de la concurrence peut devenir un élément moteur pour l’investissement de certains acteurs.

Les principales théories de la rente

La rente foncière au XIXe siècle

Les premières théories économiques contemporaines accordaient une grande importance aux rentiers. Les Classiques se fondaient notamment sur l’analyse de la rente foncière pour décrire les liens sociaux et économiques qui régissaient le XIXe siècle. Les rentiers étaient alors ceux qui possédaient les terres cultivables, les capitalistes payaient les rentiers pour exploiter ces terres. Dès ces premières analyses, le rentier est critiqué comme étant le responsable des principaux maux de l’économie.

D’après Adam Smith, seuls le salaire et le profit étaient légitimes contrairement au revenu de la rente qui, lui, ne rémunère qu’un capital non productif. C’est ainsi qu’en 1776, il critique les propriétaires fonciers qu’il considère comme des parasites oisifs : « Les propriétaires, comme tous les autres hommes, aiment à recueillir là où ils n’ont pas semé. »

La principale théorie qui émerge à cette époque est la théorie de la rente ricardienne. Pour construire l’analyse ricardienne, il est nécessaire de partir du constat malthusien qui explique que si le nombre de terres exploitées augmente, la production augmentera aussi, mais moins rapidement, car les terres mises en culture sont de moins en moins fertiles. À cela, Ricardo ajoute que lorsque la population d’un pays augmente, le revenu de la rente augmente mécaniquement. En effet, si la population augmente, il est nécessaire de mettre de nouvelles terres en culture, mais celles-ci sont pour la plupart moins fertiles (comme expliqué avant).

Par conséquent cela fait augmenter le prix des terres de meilleure qualité et provoque une hausse générale de la rente. Dès lors, comme l’augmentation de la rente se répercute sur le prix des cultures, cela a pour effet de faire augmenter les salaires car, à cette époque, le salaire des ouvriers était un salaire de subsistance. Par conséquent, l’augmentation de la rente mine le profit des capitalistes (qui sont obligés de répercuter l’augmentation de la nourriture sur les salaires) et les empêche ainsi d’investir. D’après cette théorie, la rente est l’ennemi du profit et fait stagner l’investissement et, par conséquent, la croissance.

La théorie de la rente ricardienne est au fondement de l’abolition des Corn Laws en 1846. D’après l’Anti-Corn Law League, abolir cette loi permettait de supprimer l’avantage monopolistique des rentiers anglais et permettait ainsi de baisser le prix de la rente et de consacrer une plus grande part du profit a l’investissement.

La vision keynésienne du rentier et « l’euthanasie des rentiers »

Les Classiques ne sont pas les seuls à éprouver de la méfiance envers la rente, Keynes voit aussi d’un mauvais œil les rentiers. En effet, Keynes est partisan d’un socialisme prônant un partage des richesses plus juste. Il catégorise trois formes d’épargnes que possèdent les rentiers : liquide, mobilière et financière. D’après lui, l’épargne liquide est nocive si elle est improductive. Quant à l’épargne financière et à l’épargne mobilière, elles ne sont néfastes que si leur rendement dépasse la dépréciation du capital plus la prise de risque, car cela amènerait, d’après lui, une concentration excessive de la richesse. Ainsi, dans la vision keynésienne, les rentiers sont ceux qui vivent de leurs revenus d’intérêts sur le capital. C’est-à-dire les propriétaires de capital financier qui prêtent leur argent contre des intérêts plutôt que d’investir directement dans des activités productives.

La célèbre métaphore « l’euthanasie des rentiers » définit dès lors le fait de fixer un taux d’intérêt du revenu de l’épargne juste (c’est-à-dire qui ne dépasse pas la prise de risque plus la dépréciation du capital), car cela permettrait une meilleure répartition des richesses. En effet, un taux d’intérêt bas réduit les revenus des rentiers, rendant moins attrayant de conserver du capital sous forme de liquidités ou de prêts à intérêt. Cela incite les rentiers à investir directement dans des activités productives. Ainsi, en abaissant les taux d’intérêt, Keynes voulait encourager l’investissement des entreprises et, par conséquent, augmenter la demande globale, réduire le chômage et stimuler la croissance économique. L’objectif ultime de cette démarche était de redistribuer le capital des mains des rentiers vers les entrepreneurs et les entreprises, qui sont ceux qui utilisent le capital de manière productive pour créer des emplois, des biens et des services.

L’euthanasie des rentiers de Keynes ne fait donc pas directement référence à l’inflation. Cependant, l’inflation est un moyen d’engager l’euthanasie des rentiers en rendant négatif le revenu réel de l’épargne liquide et en réduisant les rendements nominaux de l’épargne financière et immobilière au niveau des rendements réels qui, eux, ne couvrent que la prise de risque et la dépréciation du capital. Ainsi, Keynes parle d’« euthanasie », car il considère que dans de telles circonstances, la disparition des rentiers serait douce.

La rente d’innovation

La rente d’innovation est une interprétation spécifique de la rente moins acerbe vis-à-vis du rentier qui en profite. Cette théorie formulée par Schumpeter est un concept clé de sa théorie de l’innovation et du développement économique. Dans celle-ci, il considère l’innovation comme le moteur de la croissance économique et les entrepreneurs comme les principaux acteurs de cette dynamique. La rente d’innovation correspond aux profits exceptionnels que procure l’introduction d’une innovation (nouveau produit, nouveau procédé de production, nouvelle organisation, etc.). Ces rentes sont éphémères, car elles découlent d’un avantage concurrentiel temporaire qui sera imité par d’autres concurrents. L’entrepreneur prend des risques en introduisant des innovations, mais s’il réussit, il bénéficie de rentes d’innovation comme récompense pour avoir pris ces risques et pour avoir contribué au progrès technologique et économique.

D’après lui, la rente d’innovation est nécessaire car elle permet, en accordant un monopole provisoire à celui qui la possède, d’encourager l’innovation et donc la croissance. Ainsi, l’État essaie de favoriser les rentes d’innovation. L’avantage que procure un brevet inciterait d’autant plus l’investissement dans la R&D. Contrairement à la vision des Classiques et de Keynes, la rente d’innovation ne serait pas néfaste, car elle favoriserait la croissance. Pour favoriser les rentes d’innovation, en plus de mettre en place des politiques de propriété intellectuelle, l’État peut aussi mettre en place des crédits à l’innovation et à la recherche. Par exemple, en France, le crédit d’impôt recherche (CIR) a été mis en place en 1983, puis réformé en 2008. Le CIR est devenu la dépense fiscale rattachée à la recherche la plus importante en termes quantitatifs en France.

Néanmoins, cette vision schumpétérienne est remise en cause

Même si la réflexion paraît au premier abord sans faille, elle soulève de nombreuses questions au sujet de la propriété intellectuelle. Par exemple, les rentes d’innovation, assurées par l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) en 1995 dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ont été néfastes pour certains pays en développement, notamment au sujet de l’accès à certains vaccins et médicaments.

En effet, en raison de la protection de la propriété industrielle, certains pays n’ont pas pu produire certains vaccins et une rente d’innovation a donc favorisé un monopole privé qui a défavorisé la santé publique de plusieurs pays. Cela amène Stiglitz à dire dans Le Prix de l’inégalité, en 2012, que la rente n’appelle pas à l’innovation mais seulement à l’accroissement des inégalités car, aujourd’hui, les rentes d’innovation n’ont plus de sens, notamment à cause de leur durée et de leur rigidité d’application.

Les rentes de connivence

Il s’agit d’une analyse contemporaine de la rente formalisée par Jean-Marc Daniel, dans L’État de connivence : En finir avec les rentes. Ce dernier critique l’intervention excessive de l’État dans l’économie, qui crée des « rentes de connivence » et freine la concurrence. Il explique que les aides publiques gouvernementales qui accordent des subventions financières sans condition à des entreprises et des acteurs économiques créent des situations de rente.

Il souligne que ces rentes, favorisant des groupes spécifiques, affaiblissent la croissance et augmentent les inégalités en rendant les acteurs économiques dépendant de la protection de l’État. En effet, les rentes issues de subventions vont à l’encontre de la dynamique darwinienne de l’économie en empêchant la « sélection par le marché » et en mettant des entreprises sous perfusion, ou en permettant de maintenir des positions dominantes qui empêchent la concurrence et l’innovation. Pour y remédier, il plaide pour un capitalisme de concurrence où le marché et la concurrence récompensent le talent et l’innovation, plutôt que de maintenir des privilèges par des subventions publiques.

Trois enjeux contemporains de la rente

 La rente immobilière

En France, la hausse des prix de l’immobilier, accentuée par des facteurs démographiques et économiques, crée une rente et accroît les inégalités. L’investissement considérable dans l’immobilier, un secteur protégé avec de faibles gains de productivité et des prix élevés, détourne les capacités d’investissement de secteurs plus productifs. Cette hausse freine également la mobilité géographique de la main-d’œuvre, avec une proportion importante du patrimoine des ménages concentrée dans l’immobilier, augmentant ainsi les coûts de logement et réduisant le pouvoir d’achat.

De cette manière, l’augmentation des prix de l’immobilier a créé une rente immobilière qui privilégie les propriétaires de biens au détriment de ceux qui souhaitent s’introduire sur le marché. Les inégalités économiques et sociales sont accentuées par cette situation. Étant donné que l’immobilier présente des gains de productivité faibles, une part importante des investissements est détournée vers des secteurs plus dynamiques et innovants. Ce qui nuit à la compétitivité globale de l’économie française.

Malgré ces conséquences négatives, certains chercheurs, comme Audenaert, avancent que la rente immobilière a également entraîné des effets positifs en augmentant la valeur patrimoniale des entreprises, améliorant leur solvabilité et la facilité d’accès au financement. Cependant, la concentration des investissements dans le domaine de l’immobilier demeure un défi majeur en France. Les investissements pourraient être redirigés vers des secteurs plus productifs et novateurs afin de renforcer la compétitivité de l’économie française et atténuer les conséquences néfastes de la rente immobilière.

Les retraites : une rente ?

La retraite dans un système par redistribution n’est pas à proprement parlé une rente, car ce n’est pas un revenu généré par la possession d’un actif dont la valeur augmente. Cependant, il est légitime de se demander si une pension de retraite versée tous les mois ne serait pas une rente, dans le sens où elle représente un revenu régulier que perçoivent les individus après avoir cessé leur activité professionnelle. Ce revenu est souvent financé par des cotisations prélevées tout au long de la carrière active de la personne, formant ainsi une sorte de fonds d’investissement socialisé pour assurer une sécurité financière une fois à la retraite.

La Silver Economy désigne l’économie liée aux besoins et aux dépenses des personnes âgées. La mutation démographique de nos sociétés en lien avec le vieillissement de la population dans les pays occidentaux oblige à repenser l’économie. Dans le cadre de la Silver Economy, la question des retraites revêt une importance cruciale, car elle affecte directement le pouvoir d’achat et la qualité de vie des seniors. Les personnes âgées constituent un segment de plus en plus important de la population dans de nombreux pays développés, avec des besoins spécifiques en matière de services de santé, de logements adaptés, de loisirs et de technologies. La gestion efficace des fonds de retraite contribue donc non seulement à assurer une vie décente aux retraités, mais aussi à stimuler l’économie en répondant à la demande croissante de biens et de services adaptés à cette tranche d’âge.

Dès lors, la retraite en tant que rente s’intègre parfaitement dans le cadre de la Silver Economy en assurant une source de revenu stable aux seniors, tout en stimulant l’économie par la consommation et les investissements adaptés à leurs besoins spécifiques. Cependant la question du financement des retraites se pose, car le modèle français fait face à des défis dus à l’allongement de l’espérance de vie, augmentant le nombre de retraités par rapport aux cotisants, comme en témoigne la réforme de 2023 dont l’efficacité est critiquée.

Les superprofits

La notion de rente et celle de superprofits sont intrinsèquement liées. Les superprofits sont des profits exceptionnels, largement supérieurs à la normale pour une entreprise ou un secteur donné. Ils résultent souvent d’une situation économique inédite. Ces profits sont dits « super », car ils excèdent largement les profits standards observés dans des marchés concurrentiels.

Lorsque des entreprises ou des individus détiennent des superprofits, cela signifie qu’ils bénéficient d’un avantage économique sans avoir à fournir un investissement supplémentaire. Par exemple, en 2021 et 2022, les superprofits des énergéticiens comme Total étaient dus à l’inflation générée par la relance post-Covid et surtout par la hausse des prix de l’énergie causée par la guerre en Ukraine.

L’analyse par Oxfam montre que ces entreprises ont réalisé 1,09 trillion de dollars de profits « tombés du ciel » en 2021 et 1,1 trillion de dollars en 2022, soit un bond de 89 % des bénéfices totaux par rapport à la moyenne des bénéfices totaux de 2017-2020. Ces profits sont donc qualifiés de rentes, car ils sont issus d’un avantage de marché « tombé du ciel », ne résultant pas d’un investissement supplémentaire de la part des entreprises. Cela a poussé une partie de la classe politique française à demander un impôt de circonstance afin de lutter contre les inégalités provoquées par ces profits.

Conclusion

La rente est un revenu régulier généré par un actif possédé, sans qu’il y ait un besoin continu de gestion ou de travail pour maintenir ce revenu. Mais elle peut prendre une définition plus large en tant que revenu ne dépendant pas d’un capital productif. Elle est souvent associée à la propriété de terres, de ressources naturelles, ou de droits exclusifs (comme des brevets).

La rente peut ainsi s’appliquer aux monopoles ou à toute situation où un acteur économique bénéficie d’un pouvoir de marché lui permettant de générer des revenus supérieurs à ceux que l’on pourrait attendre dans une situation de concurrence parfaite.