Accusées de tous les maux depuis la crise financière des subprimes, les banques, entendues au sens large, cultivent fantasmes et inquiétudes. Pourtant, elles sont d’une importance capitale dans nos économies et permettent bien souvent leur bon fonctionnement. Leur prépondérance et leur opacité dérangent néanmoins et laissent à penser les limites d’un tel système orienté banque, pour entrevoir de nouvelles possibilités pour permettre le financement de l’économie. Derrière ce titre volontairement provocateur, reprenant les mots de Marc Roche, journaliste et essayiste économique, rappelons ici quels sont les avantages et les limites du recours aux banques dans le bon déroulement de l’activité d’une zone économique.
À quoi servent les banques ?
Le financement de l’économie
À première vue, les agents sont en théorie capables de se financer directement sur les marchés financiers, rendant inutile l’activité des banques. Néanmoins, relativement à la théorie des coûts de transaction développée par Ronald Coase (1910-2013) dans son article de 1937 intitulé The Nature of the Firm, il peut être très coûteux pour un agent de se financer directement sur le marché et c’est l’intermédiation apportée par les banques qui permet de réduire ces coûts et ainsi de rendre l’accès au financement plus facile et moins onéreux. Par ce biais, elles financent plus largement les ménages – principalement dans le secteur immobilier – et les entreprises.
De surcroît, les banques permettent de mettre fin à l’obligation de la double coïncidence des désirs développée par William Stanley Jevons (1875). En effet, les prêteurs ont tendance à favoriser un horizon de court terme car ils souhaitent retrouver leurs capitaux et leurs intérêts au plus vite, le temps étant source d’incertitude, quand les emprunteurs ont quant à eux besoin de financer des projets de long terme. La banque permet de lisser ces deux horizons.
La gestion de l’information, l’importance de la confiance
Ainsi, en plus d’assurer ces fonctions classiques (gérer et collecter les moyens de paiement, fournir des liquidités…), les banques sont garantes de l’information. Elles entretiennent, comme le montre l’exemple des banques maison allemandes, les Hausbank, des relations privilégiées avec leurs clients et sont plus informées que le marché quant à la qualité et à la sûreté des projets de financement. Elles renvoient également un symbole de confiance : elles ont bien souvent pignon sur rue, sont visibles au quotidien et apportent donc une image stable et sérieuse à l’emprunteur comme à l’épargnant, bien loin de l’image de « casino à ciel ouvert » associée aux marchés financiers. Cette confiance est renforcée par un ensemble de conventions et de lois permettant de réduire le risque. À cet égard, nous pouvons penser aux garanties des dépôts existantes depuis 1933 aux États-Unis ou encore à l’obligation pour les banques commerciales de détenir des réserves obligatoires auprès des banques centrales. En Allemagne, ce système de confiance explique que 96 % des entreprises allemandes sont en relation avec une banque maison.
Pourquoi sont-elles devenues si importantes ?
Les banques traditionnelles relèvent historiquement d’une volonté étatique d’assurer un financement abondant et efficace afin de stimuler la production, particulièrement dans l’industrie. Ainsi Joseph Aloïs Schumpeter insistait-il en 1911 sur le rôle prépondérant du couple banquier-entrepreneur durant la révolution industrielle, permettant la transition entre invention et innovation. Les banques de second rang, autrement dit les banques commerciales, créent et détruisent de la masse monétaire en accordant des crédits. Par ce biais, elles sont nécessaires et même de plus en plus nécessaires pour assurer le financement des entreprises qui nécessitent des fonds croissants. Ainsi, en France, après la Seconde Guerre mondiale, l’administration du Trésor administrait les taux d’intérêt, collectait les dépôts et les réallouait afin de favoriser les emprunteurs et d’orienter l’économie vers des secteurs stratégiques, notamment dans le cadre de la reconstruction.
Les risques d’une telle omniprésence
Néanmoins, ce système orienté banque (bank–based) présente d’importants défauts. Il réclame dans un premier temps une trop importante création monétaire pouvant être inflationniste (l’inflation atteignait 4 % par an en moyenne durant les Trente Glorieuses en France) et peut, dans un second temps, conduire à une allocation non optimale des ressources (les branches soutenues par l’État par exemple ne sont pas nécessairement les plus performantes et les plus rentables). Ainsi, depuis les années 1980 et le phénomène des 3D présenté par Henri Bourguinat (1933-) en 1987, ce sont les systèmes orientés marché qui s’imposent afin de permettre, en théorie, une meilleure allocation des ressources. Cette idée s’est largement répandue après la publication en 1970 du célèbre article d’Eugène Fama (1939-) stipulant l’efficience des marchés financiers.
Mais les banques n’ont pas disparu pour autant et certaines d’entre elles servent aujourd’hui d’intermédiaire sur les marchés de capitaux. Jézabel Couppey-Soubeyran parlait ainsi en 2010 « d’économie de marchés de capitaux intermédiée ». Ainsi, lorsque le journaliste économique Marc Roche publie un ouvrage traitant de la banque d’affaires Goldman Sachs, le sous-titrant La banque qui dirige le monde, il insiste, outre l’effet provocateur d’une telle appellation, sur la prépondérance générale des banques d’affaires au XXIᵉ siècle. Ces banques sont souvent moins connues du grand public et visent une clientèle d’entreprises et de grands comptes en leur prodiguant des conseils d’investissement, de levées de fonds ou encore de fusions-acquisitions.
Ainsi, en 2018, une banque d’affaires comme Goldman Sachs possédait-elle en actifs sous gestion près de 1 500 milliards de dollars, un montant comparable au PIB russe ! Se pose alors légitimement la question du risque d’un tel poids. En effet, l’histoire a montré la dangerosité de ce que l’on appelle le risque systémique. Ce risque, défini par la Banque centrale européenne comme étant « le risque que l’instabilité financière devienne telle qu’elle empêche le bon fonctionnement du système financier au point d’impacter négativement la croissance et le bien-être », s’est illustré lors de la célèbre faillite de la banque Lehman Brothers le 15 septembre 2008, point de départ de la crise économique, ou encore lors de la déstabilisation du système financier par la faillite du fonds LTCM.
Comment les réguler ?
Nous avons déjà cité quelques mesures permettant de lutter contre les risques systémiques, à l’instar des réserves dépositaires obligatoires. À la suite de la crise de 2008, les contrôles se sont renforcés, notamment dans le cadre du comité de Bâle de 2010 (Bâle III). Ce dernier a permis la création de deux ratios de liquidité à des échelles temporelles différentes tout en renforçant le niveau de fonds propres détenu par les banques.
Mais cet ensemble de mesures ne semble pas suffisant. Les grandes banques possèdent des ressources économiques et juridiques leur permettant bien souvent de contourner les réglementations, elles sont « too big to fail » et même « too big to jail ». Les banques participent massivement au bon fonctionnement de l’économie et au PIB d’un État, de sorte qu’elles disposent de marges de manœuvre importantes. De surcroît, le renforcement des réglementations a conduit les banques à redoubler d’efforts afin de pouvoir les contourner. Le mécanisme de titrisation, qui conduit les organismes financiers à regrouper en pool les crédits afin de les sortir de leur bilan et ainsi diluer les risques au sein du système financier, a participé à l’émergence d’un shadow banking system, difficilement régulable, comme nous le soulignions dans cet article.
Défiance générale
De manière plus générale, les mouvements sociaux tels que Occupy Wall Street aux États-Unis dénoncent la surpuissance des banques, accusées de poursuivre leurs seuls intérêts monétaires au détriment du bien commun et même de la croissance économique. L’activité des banques apparaît aujourd’hui déconnectée de l’économie réelle et des besoins de financement. Le développement, au sein des banques d’affaires, du trading haute fréquence (high frequency trading), qui consiste en la multiplication d’opérations de marché grâce aux nouvelles technologies et à l’algorithmique, montre bien la déconnexion entre la sphère réelle et financière : on ne s’intéresse plus à la qualité d’un projet de financement, à la stabilité d’une entreprise, mais à la rentabilité espérée et calculée sur des échelles de temps microscopiques.
Pour conclure
Ainsi, les banques dirigent le monde dans la mesure où elles sont nécessaires aux entreprises et aux ménages qui ont des besoins de financement de plus en plus importants. Par leur taille, leur importance, les banques peuvent parfois échapper à la réglementation et aux instances de contrôle afin d’accroître toujours plus leur profit, au fil des révolutions technologiques qui augmentent encore et toujours la complexité et l’opacité du système financier. En captant une part toujours plus grande des talents (la part des diplômés d’Harvard exerçant un métier dans le secteur de la banque-finance a été multipliée par cinq en 30 ans), les banques orientent l’économie vers plus de finance et moins d’industrie, renversant l’idée selon laquelle « where entreprise leads finance follows » (Joan Robinson, 1952).