Dans un contexte de dette publique record en France (près de 3 000 milliards d’euros en 2025, soit près de 110 % du PIB), la question de la bonne gestion de l’argent public devient de plus en plus pressante. Si les citoyens acceptent de contribuer à l’effort collectif via l’impôt, ils attendent en retour une utilisation rigoureuse, équitable et efficace des fonds publics. Or, de nombreux exemples récents, médiatisés ou moins connus, révèlent des dysfonctionnements, des gaspillages et des privilèges qui posent question. Dans une société où le pouvoir d’achat est au centre des priorités des Français, la gestion de l’argent public devient une question majeure (elle l’a toujours été en réalité). Focus donc sur ce sujet important : la gestion de l’argent public doit-elle changer ?
Des résultats accablants sur les dérives du service public
Premièrement, sache que les informations et les chiffres cités ici seront principalement tirés du reportage de Capital diffusé sur M6 il y a quelques semaines (nous t’invitions à aller le visionner, il est très intéressant).
Les prix exorbitants des achats publics
Le reportage s’ouvre sur une enquête dans les coulisses des commandes passées par les administrations via les centrales d’achat public (UGAP, etc.). Ces centrales sont censées mutualiser les achats pour faire baisser les prix. Or, c’est souvent l’inverse qui se produit. Un simple stylo acheté 2,26 € via ces canaux coûte seulement 0,30 € dans le commerce. Une ampoule LED est facturée 48 € – soit 16 fois son prix standard en magasin.
Ces anomalies ne sont pas isolées. En 2022, un rapport de la Cour des comptes signalait que certains ministères payaient leurs logiciels bureautiques 2,5 fois plus cher que dans le secteur privé, faute d’avoir mutualisé leurs appels d’offres.
Ces surcoûts sont généralement liés à une bureaucratie rigide, à des marchés mal renégociés et à une absence de contrôle des coûts. Chaque année, la mauvaise gestion des achats publics coûterait entre 5 et 10 milliards d’euros à l’État, selon la Fondation iFRAP.
Les privilèges des anciens Premiers ministres
Autre séquence marquante : celle des anciens Premiers ministres, qui bénéficient d’avantages dispendieux. Ils disposent d’une dotation mensuelle de 5 950 € nets, d’un bureau de fonction en plein Paris, d’un chauffeur, d’un collaborateur administratif, le tout pris en charge par l’État. Le coût annuel pour les contribuables est estimé à 1,4 million d’euros pour cinq anciens chefs du gouvernement.
Pour comparaison, le Premier ministre canadien, après avoir quitté ses fonctions, perd ses avantages dès lors qu’il retrouve une activité professionnelle. En France, ces privilèges persistent parfois plusieurs décennies après la fin du mandat.
Cette pratique est d’autant plus contestée que certains bénéficiaires, comme Édouard Philippe ou Jean-Pierre Raffarin, ont des activités lucratives parallèles (conférences, conseils, sièges dans des conseils d’administration).
Une armée d’agences peu visibles, mais très coûteuses
Le documentaire de M6 révèle qu’il existe en France plus de 1 200 agences publiques – agences de l’eau, agences de la biodiversité, agences régionales de santé, observatoires divers –, cumulant un budget de 60 milliards d’euros et 450 000 emplois.
Certaines d’entre elles ont des missions utiles, mais beaucoup se contentent de rédiger des rapports ou de dupliquer le travail des ministères. Les CESER (Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux), présents dans chaque région, coûtent à eux seuls près de 30 millions d’euros par an.
D’autres agences, comme celles chargées de la valorisation du Marais poitevin ou de la prévention du bruit, ont un champ d’action très restreint. Le problème n’est pas leur existence en soi, mais leur accumulation, leur manque de coordination et leur absence d’évaluation rigoureuse.
D’autres exemples révélateurs d’un système à bout de souffle
Les doublons entre communes, départements et régions
La France compte près de 35 000 communes, 101 départements et 18 régions (13 en métropole, 5 en outre-mer). Cette superposition entraîne des coûts de fonctionnement élevés. Selon une étude du Sénat de 2019, les doublons de compétences entre niveaux administratifs coûtent chaque année entre 2 et 4 milliards d’euros.
Exemple concret : la gestion des routes. Une route peut être entretenue par la mairie pour l’éclairage, le département pour la voirie, la région pour les transports et l’État pour la signalisation. Ces chevauchements démultiplient les frais administratifs, les retards de décision et les gaspillages.
En Allemagne, les communes sont plus grandes, les compétences plus claires et la gouvernance territoriale moins coûteuse. Le pays, avec environ 11 000 communes, parvient à une gestion plus efficace tout en maintenant une bonne couverture des services publics locaux.
Les bâtiments publics vides ou inutilisés
La Cour des comptes a plusieurs fois pointé la sous-utilisation des biens immobiliers de l’État. En 2023, un rapport notait que plus de 1 600 bâtiments de l’État étaient vacants, soit environ 2,5 millions de m2. Coût d’entretien annuel : près de 300 millions d’euros.
Ces locaux pourraient être vendus, réaffectés ou transformés pour répondre à des besoins criants : création de logements sociaux, accueil d’urgences médicales, incubateurs d’entreprises. Un audit de la direction immobilière de l’État estime qu’une meilleure gestion de ce parc pourrait rapporter jusqu’à 8 milliards d’euros sur 10 ans.
Comment économiser sans pénaliser les ménages ni augmenter les impôts ?
Mutualiser les achats publics intelligemment
Plutôt que de passer par des centrales d’achat peu efficaces, il faut encourager les ministères et les collectivités à se regrouper pour lancer des appels d’offres mutualisés et vérifier les prix.
Le modèle allemand, où les achats sont régulièrement renégociés et soumis à la concurrence européenne, montre que des économies de 15 à 20 % sont possibles. En Suède, l’Agence nationale des achats publics accompagne les collectivités dans l’élaboration de contrats intelligents, limitant ainsi les dérives tarifaires.
Cela induit une refonte de notre système actuel, mais n’est-ce pas devenu nécessaire ?
Réduire le nombre de strates administratives
Une véritable réforme territoriale pourrait consister à fusionner les départements et les régions dans les zones où les compétences sont redondantes. En Finlande, un pays de taille comparable en population à la région Île-de-France, seuls deux niveaux de collectivités existent.
Cette rationalisation permettrait d’économiser jusqu’à 10 milliards d’euros annuels, selon la Cour des comptes. Des pays comme les Pays-Bas ou le Danemark ont également simplifié leur organisation territoriale, réduisant les coûts tout en améliorant la qualité de service.
Supprimer ou fusionner les agences inutiles
Un audit indépendant pourrait être confié à la Cour des comptes pour identifier les agences inefficaces ou obsolètes. L’objectif : en supprimer 20 % en cinq ans. Cela permettrait d’économiser jusqu’à 6 milliards d’euros annuels, sans affecter les services publics essentiels.
Le Royaume-Uni a engagé dans les années 2010 un vaste programme de réduction des « quangos » (quasi non-governmental organisations), réduisant de 30 % leur nombre en cinq ans.
Moderniser l’administration par le numérique
Dématérialiser les démarches, investir dans des logiciels unifiés, automatiser certaines tâches administratives (traitement des dossiers, relances, émission de documents) permettrait à l’administration de gagner en productivité. On estime qu’un plan de numérisation bien mené pourrait réduire de 10 % les coûts de fonctionnement d’ici 2030.
L’Estonie, pionnière en la matière, permet déjà à ses citoyens d’effectuer 99 % des démarches administratives en ligne, avec un État bien plus léger en effectifs.
Réviser les avantages des anciens élus et des hauts fonctionnaires
Un alignement sur les pratiques européennes (plafonnement dans le temps, condition de ressources, suppression en cas d’activité privée rémunérée) permettrait de générer plusieurs centaines de millions d’euros d’économies annuelles, tout en rendant la démocratie plus exemplaire.
En Norvège, les anciens ministres n’ont droit à aucune dotation fixe après leur mandat, à moins de justifier d’un besoin spécifique.
Ce que font d’autres pays pour mieux gérer l’argent public
Le modèle estonien : un État numérique et agile
L’Estonie est souvent citée comme l’un des pays les plus performants en matière de gestion publique. Grâce à une numérisation poussée des services publics (e-identité, vote en ligne, fiscalité automatisée), elle est parvenue à réduire le poids de la bureaucratie. Le coût administratif par habitant y est près de deux fois inférieur à celui de la France.
L’Allemagne : rigueur budgétaire et efficacité locale
L’Allemagne impose à ses Länder (régions) une règle d’or budgétaire qui les contraint à l’équilibre. Cette discipline permet de maintenir une dette publique maîtrisée (66 % du PIB en 2024) tout en offrant des services publics de qualité.
Par ailleurs, la gestion décentralisée mais efficace de certains domaines, comme les infrastructures ou la formation professionnelle, évite les redondances françaises. Néanmoins, cela induirait une refonte totale de notre système avec une régionalisation plus importante qu’actuellement en France.
Le Danemark : un État-providence bien géré
Souvent considéré comme un modèle social avancé, le Danemark conjugue un haut niveau de prélèvements avec une très grande exigence sur l’efficacité des dépenses publiques. Les politiques sociales y sont systématiquement évaluées et les agences sont régulièrement restructurées.
Chaque ministère doit justifier ses dépenses devant une autorité indépendante. Une idée qui pourrait satisfaire les Français ? Beaucoup réclament une plus grande transparence, cela pourrait devenir une solution.
Conclusion
La France n’a pas un problème de recettes : elle figure parmi les pays les plus imposés au monde, avec un taux de prélèvements obligatoires proche de 45 %. Elle a, en revanche, un problème chronique de dépenses mal orientées.
Ce que montre le reportage de Capital – comme tant d’autres rapports de la Cour des comptes –, c’est une culture de la dépense publique peu tournée vers l’efficacité et la responsabilité. Le défi est aujourd’hui de faire mieux avec autant, voire moins, sans pénaliser les citoyens ni freiner l’économie. Les prochaines élections présidentielles dans deux ans devraient aborder ces sujets devenus majeurs pour les ménages français.
Réformer la gestion de l’argent public, c’est libérer des marges de manœuvre sans appauvrir les Français. C’est même, au fond, une exigence morale et démocratique.