Dans cet article, nous nous intéresserons à un phénomène répandu : les phobies d’impulsion. Ces pensées parasites expriment une forme de violence imaginée qui questionne beaucoup sur sa nature et sur la possibilité que les individus phobiques l’extériorisent physiquement. C’est donc un processus intéressant à décrire sous l’angle psychanalytique pour l’utiliser dans les dissertations du thème de Culture Générale 2024.
La psychanalyse est un ensemble de théories qui étudie les dynamiques conflictuelles inconscientes présentes dans notre psyché et souvent en lien avec des expériences passées et refoulées. Freud en fait une méthode de traitement des troubles psychiques par une écoute attentive du patient.
Nous offrirons ici une réponse partielle à plusieurs problématiques en lien avec le thème de culture générale :
- L’homme est-il intrinsèquement violent ?
- Comment expliquer que l’esprit humain soit torturé par l’idée de commettre l’atroce : à la fois gravée en lui et qu’il craint plus que tout ?
- Peut-on légitimer la violence qui n’est qu’imaginée, qui n’a pas d’actualité ?
- Songer à la violence, est-ce succomber à ses propres pulsions ou bien s’en libérer ?
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Les phobies d’impulsion, des troubles psychiques dans lesquels la violence agonise
Les phobies d’impulsion sont des troubles anxieux qui se caractérisent par une peur irrationnelle de se faire du mal ou d’injurier autrui. Celui qui en est atteint peut se considérer comme dangereux, car il pense que sa hantise est une envie refoulée et il a peur de commettre l’irréparable. La phobie d’impulsion apparaît inconsciemment, elle est un ensemble d’idées que l’on craint de ne pouvoir contrôler. C’est une phobie qui tétanise, la violence crée une implosion, donc le sujet est ébranlé intérieurement.
L’exemple typique est celui du balcon où l’on pense à sauter ou à pousser quelqu’un. Les personnes pour qui cela devient une pathologie peuvent se sentir monstrueuses. Toutefois, tout être humain peut expérimenter ces troubles.
Nous étudierons ici les phobies d’impulsion orientées vers autrui.
Les phobies d’impulsion cachent-elles une envie de heurter l’autre ?
La brutalité comme marque indélébile de la nature humaine
La violence serait, pour certains auteurs, la révélation des penchants animaux enfouis en l’homme. Toutefois, pour un psychanalyste comme J. Lacan (Écrits, 1966), les humains sont capables d’actes violents volontaires que les animaux ne pourraient imaginer. Ainsi, et selon Freud notamment, l’homme est violent par nature.
La Première topique de Freud présente le principe du refoulement qui traite des conflits psychiques qui résultent du combat entre le conscient et les penchants inconscients. La violence est ainsi l’expression explosive de la frustration engendrée par le refoulement du désir. L’homme possède un « besoin inné d’agression » (Freud, Malaise dans la civilisation).
Quand les pulsions contraires s’entrechoquent, la brutalité naît hors de contrôle
Ainsi, si l’homme est fondamentalement violent, la question est de savoir quand il songe à passer à l’acte. Les phobies d’impulsion, selon la théorie freudienne d’un « désir caché », révéleraient la présence de pulsions violentes internes que l’on a envie d’exécuter.
Alors, la violence résulte d’une perturbation interne : le sujet ne sait plus ce qui relève de la pulsion de vie et ce qui appartient à celle de mort, il confond destruction et reconstruction, selon François Ansermet (directeur du département de psychiatrie de l’Université de Genève) dans un article de la Revue médicale suisse. Être violent, c’est essayer d’anéantir une forme de détresse interne.
De ce point de vue, les phobies d’impulsion témoigneraient d’une colère refoulée qui brusque intérieurement et crée des pensées violentes. Dans ce cas, le sujet, soumis à sa propre agressivité, la subit.
L’envie ou plutôt la peur de nuire ?
Un processus inconscient
Il apparaît clair que si le sujet explicite des pulsions enfouies en lui par la violence, cela signifie que celle-ci est en partie hors de contrôle pour l’individu. Selon Jean-Luc Nancy, la violence est le résultat de « la mise en œuvre d’une force qui reste étrangère au système dynamique ou énergétique dans lequel elle intervient ».
En d’autres termes, elle est « toujours en deçà de son intention et au-delà de son résultat, elle fait effraction pour celui qui la produit comme pour celui qui la subit » (F. Ansermet), elle dépasse celui qui l’exprime. Ceci pose la question de la possibilité même à donner une explication aux phobies d’impulsion.
Les psychanalystes s’accordent à dire que le développement de la violence imaginée est un processus en partie inconscient. Ces racines seraient inatteignables par l’individu. De cette façon, le sujet n’est pas forcément maître de ses pensées. Le phobique ne cherche pas à nuire, car des fragments de violence s’installent dans son esprit à son insu.
Mais alors, d’où provient cette violence qui habite soudainement l’individu phobique ?
Les séquelles d’un traumatisme
Il est intéressant de chercher à comprendre ce que sont les « violences nues » (« Coupure freudienne et violence », Réflexions sur l’efficacité de la psychanalyse, Jean-Jacques Moscovitz), ces « violences silencieuses » connues par l’individu auparavant et qui ont des conséquences dans sa vie.
En effet, certains théoriciens défendent l’idée que la violence se déclencherait en écho à un vécu antérieur, par une stimulation. Elle est le fruit de l’injure faite par autrui. Alors, les phobies d’impulsion auraient un lien avec le passé du sujet. Les personnes ayant été maltraitées, violentées, peuvent être envahies par l’imaginaire de reproduire sur autrui ce qu’elles ont elles-mêmes vécu.
Finalement, les phobies d’impulsion ne seraient donc pas de l’ordre de l’envie malsaine, mais bien d’une peur ancrée émotionnellement chez l’individu, liée à une violence vécue.
La théorie du désir caché apparaît pour certains désuète, car si l’homme a envie de nuire, alors il ressent du désir et organise ce qu’il va faire pour arriver à son but. Toutefois, ce n’est pas le cas dans les phobies d’impulsion.
De même, dans les actes de barbarie concrets et volontaires, il n’y a aucune crainte (on pense aux tueurs en série, par exemple). Le surmoi disparaît à ce moment d’explosion violente. Au contraire, celui qui est envahi par des pensées violentes ressent de la culpabilité, ne serait-ce parce qu’il ose songer à des atrocités. C’est d’ailleurs pour cela qu’il développe une telle peur.
Ceci étant dit, si le phobique ne cherche pas fondamentalement à injurier, il est intéressant de se demander si les phobies d’impulsion sont réellement des actes que l’on peut nommer comme violents.
Finalement, la notion même de violence induit une ambiguïté persistante qui éclaire sur les racines des phobies d’impulsion
L’ambivalence de la violence : force de vie et force de mort
Dans sa Seconde topique, Freud explicite le dualisme qui réside dans la psyché humaine entre les pulsions de vie et les pulsions de mort (Surmoi, Moi, Ça). Ces forces s’appellent « Éros et Thanatos » (J-P. Vernant). Elles sont contraires et se chevauchent en permanence en l’homme. La première promeut la création de la vie. La seconde veut au contraire tout détruire. Ainsi, l’homme reste constamment entre ces deux pulsions et ne peut s’en détacher.
A fortiori, et selon les explications d’Ansermet, la violence implique, pour Freud, à la fois une force de vie, ou plutôt de survie pour repousser ce qui détruit, et une force de mort, qui cherche à heurter. La violence renvoie à la négation de l’altérité, l’outrage fait à l’autre, mais parallèlement aussi à une forme de « puissance » symbolisant un pouvoir de mouvement. Être violent pour se sauver ou sauver autrui exprime donc une volonté de vie qui est retranscrite par l’action de la mort.
Elle se retranscrit dans l’agressivité pensée
La violence, preuve d’amour ?
Comme évoqué précédemment, la violence est paradoxale. Vue de l’extérieur, elle apparaît nécessairement comme destructrice, offensante et tyrannique. Dans le cadre des phobies d’impulsion, elle exprime souvent une colère ressentie. Toutefois, dans une certaine mesure, elle peut exprimer l’amour de l’autre. Ressentir l’envie de violence peut s’avérer être la preuve d’un attachement exprimé de façon informe, abrupte.
Selon Freud, l’amour entre deux êtres peut se traduire par une envie de violence, car le sujet est en quête d’une impulsion vivifiante, il veut la ressentir à travers l’autre (F. Ansermet). A fortiori, les phobies d’impulsion sont souvent des pensées à l’intention de proches. Bien qu’elles n’aboutissent que très rarement à un passage à l’acte, on peut dresser un parallèle avec l’idée d’amour-haine, explicitée ci-dessus.
Un exemple concret
Il est alors intéressant d’étudier le cas de la jeune maman qui craint d’agresser son nourrisson. C’est à la fois la peur de faire mal, mais aussi de mal faire, qui hante la maman. Elle craint de réaliser un acte atroce envers son bébé, ce qui la pousse à imaginer cet acte, bien qu’elle ne passera jamais à l’acte. On peut considérer que sa pensée retranscrit l’amour inconditionnel qu’elle porte à son enfant et sa peur fait écho à la frustration qu’elle ressent de ne pouvoir s’assurer qu’elle le traitera de la meilleure façon sans jamais l’injurier. Ainsi, tétanisée, elle se trouve dans l’incapacité éphémère de pouvoir exprimer son amour par la tendresse, son envie viscérale de transmettre la force de vie. De fait, elle songe à la violence et renie ce songe pour se libérer de celle-ci.
C’est la légitimation de formes de violence, imaginées ou exécutées, symbolisant un amour mal exprimé, contrarié par la nécessité d’expression brutale. Pour autant, il ne s’agit en aucun cas de légitimer la violence dévastatrice.
Peut-on alors réellement dire que le phobique impulsif est violent ?
Les comportements violents sont visibles. La violence, lorsqu’elle s’actualise, est désinhibée. Elle correspond à l’instant où la pulsion de mort devient plus forte que l’autre. Elle détruit l’objet sur lequel elle projette son intention. Cependant, les phobies d’impulsion renvoient à une violence qui est seulement imaginée comme perpétrée. Il s’agit d’une pensée et non pas d’une action.
Plus précisément, si la violence apparaît du fait d’une confrontation intérieure, on peut considérer qu’elle est pulsionnelle et relève tout autant du corps que de la psyché (Freud). La violence ne peut donc être pensée sans le corps, pourtant on parle ici de pensée parasite qui ne se concrétise pas.
Ainsi, les phobies d’impulsion ne sont pas violentes au sens qu’elles ne projettent pas de brutalité à l’extérieur du sujet, sous quelque forme que ce soit. Se craindre soi-même, c’est s’infliger une violence psychologique inouïe.
Les phobies d’impulsion sont subversives. De ce fait, certains experts expliquent qu’elles permettent au cerveau d’affronter nos peurs, de les exorciser en sculptant une violence imaginée contrôlable.
Finalement, se représenter l’acte violent, c’est pouvoir l’emprisonner hors de toute concrétisation, et ainsi s’en délivrer.
Conclusion
Nous avons vu qu’à première vue, et sous un angle psychanalytique, les phobies d’impulsions peuvent apparaître comme les témoins d’une volonté de violence que l’homme essaye de cacher en lui. Toutefois, elles ont en réalité une dimension inconsciente qui ne révèle rien de malsain. Ces pensées peuvent intervenir suite à un traumatisme violent, enduré auparavant, ou bien relever d’un dualisme émotionnel dans lequel amour et brutalité se confrontent. Enfin, les phobies d’impulsion peuvent aider l’individu à se libérer de ses peurs en les exorcisant.
Nous espérons que cet article t’aura aidé(e) ! Tu peux consulter ici tous nos articles et fiches d’œuvres sur « la violence » pour l’épreuve de CG 2024.