travail

En octobre 2020, plus de 60 000 salariés ont été licenciés aux États-Unis par les entreprises Disney, American Airlines et United Airlines, faisant craindre à de nombreux travailleurs une perte subite de leur emploi. En novembre 2021, un an après – mais toujours dans un contexte marqué par l’épidémie de coronavirus – dans ce même pays, plus de 4,5 millions de salariés décident de démissionner. Sans avoir forcément un emploi les attendant. Ce phénomène a été nommé : « The Great Resignation ».

Ce double phénomène laisse perplexe. Observer dans un même pays une vague de licenciements et une vague de démissions n’est pas courant. Cela peut-il mener vers une revalorisation des conditions de travail ?

« The Great Resignation » : un profil type observé

La majorité des employés démissionnant a des caractéristiques précises. Ce sont des jeunes, entre 18 et 25 ans, accordant une grande attention à leurs conditions de travail. Selon une étude du Pew Research Center, 63 % de ceux qui ont quitté leur emploi en 2021 l’ont fait pour cause de salaire trop faible. 57 % ne se sentaient pas respectés au travail. 45 % ont soutenu qu’il n’y avait pas assez de flexibilité.

Quel est l’élément déclencheur ?

Un droit du travail en berne…

Les États-Unis sont un pays avec un droit du travail très peu protecteur. En témoignent ces deux exemples.

  • La société Amazon, deuxième plus grand employeur américain dans le monde, derrière Walmart, s’est retrouvée dans deux situations délicates. Elle a évité de peu la création d’un syndicat de travailleurs Amazon au moyen de techniques déloyales et de nombreux employés se sont plaints, sur les réseaux sociaux notamment, de devoir uriner dans des bouteilles faute de pauses toilettes. Pour en apprendre plus, n’hésite pas à lire cet article sur Amazon.
  • Les contrats de travail « at-will » sont répandus aux États-Unis. Dans le cas de l’« at-will employment », une entreprise peut licencier un salarié sans préavis, à condition que la cause ne soit pas illégale (basée sur le sexe, la religion, l’origine). Ainsi, licencier un employé pour avoir soutenu la mauvaise équipe sportive est une possibilité.

Comment expliquer cette faible protection dans la première puissance économique mondiale ?

Un élément de réponse : les lobbies. Les lobbies sont des regroupements d’entreprises faisant pression sur les hommes et femmes politiques afin de défendre leurs intérêts. Cette défense de leurs intérêts passe notamment, dans beaucoup de secteurs, par une précarisation a minima maintenue des emplois qu’ils offrent. En ne favorisant pas le pouvoir des employés, ces entreprises peuvent conserver un avantage certain sur leurs employés – aboutissant à la situation actuelle. Cet article sur les lobbies te donnera une vision d’ensemble sur la situation.

Thank you for smoking : ce film américain de 2006 réalisé par Jason Reitman décrit le pouvoir du lobby du tabac aux États-Unis (capable de s'extirper d'accusations scientifiquement fondées sur la létalité des cigarettes)
Thank You For Smoking

… Couplé à un changement des mentalités

Peut-on alors affirmer que de mauvaises conditions de travail ont causé ce phénomène de « Great Resignation » ?

Non. Ces conditions ne sont pas pires qu’il y a dix ans et ne peuvent donc pas expliquer ce phénomène récent. En revanche, une piste se dégage dans la crise du coronavirus. Les conditions de travail, bien qu’elles soient restées fondamentalement les mêmes dans beaucoup de secteurs au début et à la fin de cette crise sanitaire, ont beaucoup évolué au cours de cette période.

Du jour au lendemain, de nombreux travailleurs se sont retrouvés confinés chez eux, à faire du télétravail. D’autres ont été forcés de travailler à des horaires impossibles pour compenser le licenciement de leurs collègues. Enfin, d’autres ont perdu leur emploi et ont pu redéfinir leur évolution professionnelle.

Il semble que cette crise ait provoqué un changement des mentalités. Les exigences des jeunes travailleurs sont plus élevées qu’elles ne l’ont jamais été. Les entreprises américaines, habituées à une certaine culture du travail depuis des années, n’ont pas su être assez flexibles et ont en conséquence subi cette hémorragie de travailleurs.

Vers une revalorisation des conditions de travail ?

Il est encore trop tôt pour déterminer si les conditions de travail vont durablement changer ou non. La pression financière a été allégée durant la crise du coronavirus avec les « Stimulus Checks » : des aides financières versées aux ménages les plus démunis. Nul doute que cette enveloppe a permis à beaucoup de jeunes travailleurs de garder la tête hors de l’eau en démissionnant.

Il faut rappeler que cette mesure est exceptionnelle. Dans les années à venir, si les salaires n’augmentent pas durablement, la pression financière rattrapera beaucoup de jeunes sur le marché du travail. C’est particulièrement vrai pour les diplômés d’université. Il faut compter 15 à 20 000 $ par an pour les universités les moins renommées et plus de 100 000 $ par an pour les plus renommées. De nombreux étudiants choisissent de prendre un prêt étudiant qui les contraint financièrement pendant des années. Le remboursement de ce prêt est indubitablement un élément dissuasif de démission.

Il ne serait donc pas surprenant que ce phénomène s’épuise tout seul. Le pouvoir des employés reste trop faible pour durablement changer leur environnement de travail.

Une prise de conscience généralisée

Néanmoins, le débat acquiert de plus en plus de visibilité dans la vie quotidienne américaine. Le 26 janvier 2022, la chaîne d’informations Fox News a invité le modérateur d’un forum populaire aux États-Unis (le subreddit « Antiwork », où plus de 1,8 million d’internautes partagent leurs expériences professionnelles en ligne) pour une interview télévisée afin de présenter la philosophie de ce forum.

L’entretien fut désastreux. L’intervenant a été décrit comme paresseux et profitant du système. De nombreux internautes vindicatifs ont alors rejoint la page « Antiwork » pour insulter cette communauté.

Il n’en reste pas moins que les témoignages continuent d’affluer sur cette page, dépeignant des patrons malhonnêtes, menteurs et n’hésitant pas à enfreindre la loi au détriment de leurs employés. La popularité de ces témoignages est un indicateur de la prise de conscience généralisée qui se déploie, certes lentement, aux États-Unis.

Une entreprise, Glassdoor, propose d’informer les demandeurs d’emploi des conditions de travail dans telle ou telle entreprise. Sur son site Internet, d’anciens salariés publient leurs expériences de travail à titre informatif – incluant leurs expériences désagréables. Cet outil a un impact positif sur les travailleurs, qui font de plus en plus attention à leur environnement de travail.

À retenir

  • Aux États-Unis, une grande vague de démissions inattendue a soudainement eu lieu : « The Great Resignation ».
  • Les travailleurs quittant leur emploi, souvent jeunes, mentionnent un environnement de travail dégradant, peu flexible et des rémunérations trop faibles.
  • L’évolution future des conditions de travail est incertaine. D’un côté, la culture des lobbies aux États-Unis pèse en défaveur des travailleurs ; d’un autre, de plus en plus de personnes publient des témoignages aberrants sur leurs conditions de travail dans l’espoir de changer les mentalités.
  • Certains médias contribuent à minimiser l’ampleur de la situation – en défaveur des travailleurs.

Vocabulaire

The Great Resignation Nom donné à la vague de démissions aux États-Unis ayant commencé en 2019
To resign from a job Démissionner
A resignation letter Une lettre de démission
To be fired from a job Être licencié
To give their two-week notice Donner sa démission, effective deux semaines plus tard
A job Un emploi
PTO : paid time off Congés payés
To be on a shift Être de service
The graveyard shift Le poste de nuit, l’équipe de nuit