Dès la fin de l’épreuve, Major Prépa te propose une analyse des sujets d’ESH ! On continue avec l’analyse du sujet 2 d’ESH ECRICOME 2025, pour mettre en lumière les points-clefs, les mots en lien avec le sujet et les outils de compréhension nécessaires pour bien le traiter. La moitié du concours ECRICOME est enfin derrière toi !
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Analyse sujet 2
Le sujet : Quelles sont les limites de la responsabilité des entreprises ?
Depuis les années 1990, les entreprises sont appelées à assumer des responsabilités qui débordent largement leur champ économique traditionnel. Sous la pression de l’opinion publique, des ONG et des instances internationales, elles sont incitées à prendre en compte l’impact social, environnemental, fiscal ou éthique de leurs décisions. Cette évolution se manifeste par l’essor de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), la montée des labels environnementaux ou encore l’apparition d’entreprises à mission, intégrant des objectifs d’intérêt général dans leurs statuts. Ce tournant, souvent qualifié de post-friedmanien, remet en cause l’idée selon laquelle la seule responsabilité de l’entreprise consisterait à maximiser ses profits tout en respectant la loi.
Le sujet pose ici une question très large et ouverte : “Quelles sont les limites de la responsabilité des entreprises ?” Il ne s’agit pas d’interroger la légitimité de cette responsabilité, mais d’en explorer les bornes pratiques, juridiques, économiques ou structurelles. Ce n’est pas un sujet strictement dialectique, mais un sujet à dominante thématique, qui appelle à une exploration organisée des différents freins à une responsabilisation réelle des entreprises. Toutefois, cette ouverture ne dispense pas d’une réflexion rigoureuse : il ne s’agit pas d’énumérer des obstacles, mais d’analyser en quoi ces limites révèlent une tension entre les finalités sociales qu’on prête à l’entreprise et les logiques qui gouvernent son fonctionnement dans une économie capitaliste.
Dès lors, on peut se demander : jusqu’où les entreprises peuvent-elles être tenues responsables dans une économie de marché, et quelles sont les limites concrètes à cette extension de leur responsabilité ?
Voici une proposition de plan :
I. Des limites internes à la responsabilité des entreprises : un modèle capitaliste fondé sur la rentabilité
A- La responsabilité des entreprises demeure encadrée par la logique de maximisation de la valeur
Si l’on observe, depuis plusieurs décennies, un discours croissant sur l’engagement des entreprises pour des causes sociales ou environnementales, ces engagements s’inscrivent très largement dans les contraintes structurelles du capitalisme actionnarial. En effet, l’entreprise demeure, dans sa grande majorité, orientée vers un objectif premier : la maximisation de la valeur pour les actionnaires, selon la logique définie notamment par Milton Friedman dans Capitalism and Freedom (1962). Dans sa conception libérale, toute responsabilité sociale ou environnementale que l’entreprise chercherait à assumer au-delà du strict respect des lois constituerait une forme de dérive morale, voire de spoliation des actionnaires. La responsabilité incombe non à l’entreprise mais aux individus, dans un cadre démocratique.
Cette conception a structuré la gouvernance d’entreprise contemporaine, en particulier dans les grandes firmes cotées, où le cours de l’action est devenu l’indicateur central de performance. Dans ce cadre, les engagements sociaux ou environnementaux ne sont véritablement acceptés que s’ils sont justifiables économiquement : par exemple, parce qu’ils permettent de valoriser l’image de marque, de prévenir des risques juridiques, ou de fidéliser des consommateurs sensibles aux enjeux éthiques. Ce que montrent Luc Boltanski et Ève Chiapello dans Le nouvel esprit du capitalisme (1999), c’est précisément que la critique sociale des années 1970 (sur le sens du travail, l’écologie, l’éthique) a été progressivement intégrée et récupérée par le capitalisme, sous des formes compatibles avec ses objectifs de rentabilité. La responsabilité n’est donc pas abolie, mais instrumentalisée.
Cette logique explique la prolifération de discours de responsabilité dans les documents officiels des entreprises (rapports annuels, déclarations de mission), sans nécessairement de transformation structurelle. Les grandes entreprises communiquent sur leurs engagements climatiques, tout en poursuivant des activités fortement émettrices de gaz à effet de serre ; elles promeuvent la diversité dans leurs recrutements, mais résistent à toute forme de transparence salariale. C’est ce que l’on nomme communément le greenwashing ou le social-washing : la construction d’une image responsable à des fins stratégiques, sans remise en question substantielle des pratiques.
Ces limites internes à la responsabilité des entreprises tiennent donc moins à un manque de volonté individuelle qu’à un cadre d’incitations et de contraintes qui subordonne toute décision à sa rentabilité attendue. Tant que le système de gouvernance restera fondé sur l’évaluation financière de la performance, les logiques de court terme et d’optimisation du profit constitueront un frein structurel à une responsabilisation véritable.
B- Une responsabilité asymétrique, conditionnelle et dépendante d’un environnement favorable
Même lorsque les entreprises adoptent des engagements en matière sociale ou environnementale, ceux-ci restent très largement volontaires, sélectifs et réversibles. Loin de constituer des obligations intégrées dans leur cœur de fonctionnement, ces formes de responsabilité apparaissent comme conditionnelles à un environnement institutionnel, économique ou social favorable. Cela en limite considérablement la portée effective.
L’un des premiers facteurs de cette asymétrie réside dans le caractère non contraignant de la majorité des engagements RSE. Les normes internationales (telles que la norme ISO 26000 ou les principes directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits humains) reposent essentiellement sur l’auto-déclaration et l’auto-régulation. L’entreprise décide de l’étendue de ses obligations, choisit les indicateurs à publier, sélectionne les priorités à traiter. Cela ouvre la voie à des engagements fragmentaires, voire incohérents : une entreprise peut afficher une politique exemplaire de réduction de son empreinte carbone tout en pratiquant des formes de précarité salariale dans ses sous-traitants. Cette situation révèle une fragmentation de la responsabilité, rendue possible par l’absence de mécanismes d’unification et de vérification indépendants à l’échelle globale.
Par ailleurs, la capacité d’une entreprise à s’engager dans des politiques ambitieuses de responsabilité dépend très largement de sa taille, de son secteur d’activité et de son modèle économique. Les grandes firmes multinationales, bénéficiant d’une rente d’image et de marges importantes, peuvent investir dans des dispositifs de gouvernance durable ou des projets environnementaux. À l’inverse, les PME, les entreprises industrielles à faible rentabilité ou les acteurs en concurrence mondiale sur les coûts subissent une pression qui les empêche de s’engager sans menacer leur viabilité économique. Cela introduit une inégalité structurelle dans l’accès à la responsabilité : seules les entreprises les plus puissantes peuvent se permettre d’y recourir comme stratégie, tandis que les autres en sont de facto exclues.
Enfin, cette responsabilité demeure réversible : en période de crise économique, les engagements RSE sont souvent les premiers à être suspendus ou affaiblis. La crise du Covid-19 a illustré cette dynamique : de nombreuses entreprises ont revu à la baisse leurs objectifs sociaux ou environnementaux pour préserver leur trésorerie. Cette tendance montre que la responsabilité, loin d’être structurellement intégrée, reste subordonnée à la conjoncture.
Ainsi, même lorsque les entreprises s’engagent au-delà du profit, cette responsabilisation repose sur des bases fragiles : elle est non contraignante, inégalement répartie, et sensible aux aléas économiques. Cela confirme que les limites internes à la responsabilité des entreprises ne tiennent pas seulement à leur gouvernance, mais aussi à leur inscription dans un environnement incertain et concurrentiel, qui rend difficile toute responsabilisation systémique.
II. Des limites externes : gouvernance, droit et contraintes systémiques
A- Un cadre juridique et institutionnel insuffisamment contraignant
Malgré la multiplication des discours et des initiatives en faveur d’une responsabilisation accrue des entreprises, le droit positif demeure largement en retard par rapport aux enjeux sociaux et environnementaux auxquels ces dernières contribuent. Ce décalage constitue une limite structurelle majeure à l’effectivité de leur responsabilité. Tant que les obligations restent floues, inégales ou peu sanctionnées, il est illusoire d’attendre une transformation profonde des pratiques entrepreneuriales.
D’un point de vue juridique, la responsabilité des entreprises est avant tout civile et commerciale. Les entreprises sont responsables devant leurs actionnaires, leurs créanciers ou leurs cocontractants, mais beaucoup plus rarement devant des acteurs diffus (salariés indirects, générations futures, population exposée à la pollution…). La responsabilité pénale des personnes morales, bien qu’existante dans certains pays, reste difficile à engager : les catastrophes industrielles ou écologiques (Lubrizol, Bhopal, Deepwater Horizon) aboutissent rarement à des condamnations significatives, en raison de la complexité de la chaîne de commandement et du principe de présomption d’innocence appliqué aux dirigeants.
La situation est encore plus problématique à l’échelle internationale. La majorité des grandes entreprises opèrent dans des chaînes de valeur mondiales fragmentées, réparties sur plusieurs dizaines de pays, avec des niveaux très hétérogènes de normes sociales, fiscales ou environnementales. Cette fragmentation géographique et juridique crée une dilution de la responsabilité : une entreprise multinationale peut externaliser la production dans des pays à faibles normes sociales, tout en se prévalant d’une image éthique dans son pays d’origine. Le cas de l’effondrement du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh, qui a causé plus de 1 100 morts parmi des ouvriers textiles travaillant pour de grandes marques occidentales, illustre cruellement les limites d’un droit international incapable de lier responsabilité et contrôle effectif.
Certes, certaines avancées récentes tentent de combler ce vide. En France, la loi sur le devoir de vigilance (2017) impose aux grandes entreprises de publier un plan visant à prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement dans l’ensemble de leur chaîne de valeur. À l’échelle européenne, la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive, 2022) renforce les obligations de reporting extra-financier. Mais ces outils restent fragiles : leur portée est encore limitée à certaines entreprises, leur mise en œuvre dépendante d’interprétations jurisprudentielles, et les sanctions souvent peu dissuasives. De plus, aucun organe supranational ne dispose aujourd’hui de l’autorité nécessaire pour imposer des règles contraignantes aux entreprises transnationales, ni pour en surveiller l’application de manière efficace.
En somme, tant que le droit ne définit pas de manière claire et contraignante les responsabilités sociales et environnementales des entreprises – et tant qu’il ne leur associe pas des mécanismes effectifs de contrôle et de sanction –, la responsabilité restera largement symbolique ou optionnelle. Le droit constitue ainsi, en l’état, l’une des principales limites structurelles à l’institutionnalisation d’une responsabilité véritablement universelle et systémique des entreprises.
B- Une gouvernance centrée sur les actionnaires et des rapports de force défavorables à la responsabilisation
Au-delà du droit, c’est la structure même de la gouvernance d’entreprise, dans les économies capitalistes contemporaines, qui constitue une limite majeure à l’élargissement effectif de la responsabilité. Dans la grande majorité des entreprises, notamment cotées en bourse, le pouvoir décisionnel est entre les mains d’une direction mandatée par les actionnaires pour maximiser la rentabilité financière du capital investi. Cette configuration, théorisée dans le cadre de la théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1976), structure un ensemble d’incitations et de mécanismes de contrôle qui orientent fortement les stratégies vers des objectifs à court ou moyen terme de valorisation boursière, de distribution de dividendes ou d’optimisation fiscale.
Dans ce cadre, les intérêts des autres parties prenantes — salariés, sous-traitants, communautés locales, générations futures — apparaissent comme secondaires, voire négligeables s’ils ne coïncident pas avec les objectifs des actionnaires. Le concept de parties prenantes (stakeholders), promu notamment par Edward Freeman dans les années 1980, a certes permis d’élargir la réflexion sur la légitimité des décisions managériales. Mais il reste marginal dans les pratiques de gouvernance, faute de dispositifs institutionnels contraignants ou de contre-pouvoirs efficaces. Les conseils d’administration sont encore très majoritairement composés de représentants des actionnaires ou de la direction, et la représentation des salariés ou des ONG y reste rare ou purement consultative.
Cette asymétrie des pouvoirs internes reflète plus largement les rapports de force propres au capitalisme financiarisé, dans lequel les flux de capitaux sont mobiles, volatils, et orientent les décisions stratégiques. Une entreprise qui consacrerait une part importante de ses bénéfices à des objectifs sociaux ou écologiques non rentables risquerait de voir son action chuter, ses investisseurs se retirer, et sa compétitivité remise en cause. Ce phénomène est particulièrement visible dans les marchés concurrentiels mondiaux, où les logiques de responsabilité se heurtent à des impératifs de coûts et de performance. Le cas de Danone, où la mise en œuvre d’une stratégie RSE ambitieuse s’est soldée par le renvoi d’Emmanuel Faber sous la pression d’actionnaires réclamant un recentrage sur les résultats financiers, illustre la fragilité des tentatives de conciliation entre responsabilité et rentabilité.
Enfin, cette absence de contre-pouvoirs internes se double d’une faible capacité des acteurs externes à peser durablement sur les choix des entreprises. Les consommateurs, les ONG ou les syndicats peuvent exercer une pression ponctuelle — par le boycott, le plaidoyer ou la mobilisation — mais rarement influencer en profondeur les décisions de long terme. Comme le montre Pierre Bourdieu, les inégalités de capital économique et symbolique structurent durablement les rapports de pouvoir : les acteurs les plus touchés par les dérives des entreprises (précaires, populations du Sud, environnement naturel) sont aussi ceux qui ont le moins de moyens pour se faire entendre dans les sphères décisionnelles.
En définitive, tant que la gouvernance des entreprises restera dominée par des logiques financières court-termistes, et que les contre-pouvoirs resteront faibles ou marginaux, la responsabilité des entreprises ne pourra être qu’encadrée, conditionnée et partielle. Elle ne sera ni universelle, ni prioritaire, mais toujours subordonnée aux rapports de force économiques qui la rendent possible — ou impossible.
(III. Vers une reconfiguration institutionnelle et économique de la responsabilité des entreprises)
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