Cet article va te présenter les processus de concentration des entreprises depuis le XIXe siècle, à l’origine des grandes entreprises. Pour rappel, la concentration des firmes est le processus par lequel la taille des entreprises augmente. Ceci leur permettant de contrôler une part de marché de plus en plus importante. La taille des firmes industrielles s’accroît par deux principaux moyens. La croissance interne, où l’entreprise développe ses propres capacités de production, et la croissance externe, où elle se regroupe avec d’autres entreprises déjà existantes. De plus, les firmes cherchent à dominer les marchés en adoptant des pratiques oligopolistiques telles que les trusts et les cartels.
L’essor des grandes entreprises aux États-Unis depuis la fin du XIXe siècle
Des années 1890 aux années 1920 : l’apparition des trusts
Les États-Unis ont traversé trois grandes vagues de fusions entre les années 1880 et 1970. La première vague, à la fin du XIXe siècle, se caractérise principalement par des concentrations horizontales. Ces regroupements impliquent des entreprises concurrentes dans le même secteur, souvent opérant dans différentes régions, afin d’augmenter les économies d’échelle et leur pouvoir de marché.
À la fin du XIXe siècle, l’achèvement du réseau ferroviaire et le développement du réseau télégraphique unifient le territoire américain. Des entreprises, auparavant monopoles locaux ou régionaux, se trouvent désormais en concurrence sur un marché national. Le concept de « concurrence destructrice » gagne du terrain, menant à l’idée que le développement économique stable et harmonieux se réalise non par la confrontation, mais par le regroupement et la conciliation des intérêts communs.
C’est dans ce contexte qu’apparaît une nouvelle structure juridique dans les années 1880 : le trust
Les actionnaires de diverses firmes concurrentes confient leurs actions à un groupe de dirigeants, le board of trustees, chargé de coordonner les politiques des différentes sociétés et de les gérer ensemble dans l’intérêt général du trust. Les bénéfices sont ensuite redistribués aux actionnaires sous forme de certificats du trust. En 1882, John Rockefeller crée le premier trust, la Standard Oil of Ohio, où 50 grands actionnaires contrôlant 39 sociétés confient leurs titres à neuf trustees pour une gestion coordonnée. Ce modèle est rapidement adopté par d’autres.
Cependant, en 1890, le Sherman Antitrust Act est promulgué, condamnant les ententes illicites entre concurrents et établissant les bases de la politique fédérale de concurrence. Il sanctionne les entreprises acquérant ou maintenant une position de monopole par des moyens autres que leurs propres mérites. Toutefois, les firmes qui détiennent un monopole en raison de leur efficacité ou de leur antériorité sur le marché peuvent pratiquer des prix de monopole, récompensant ainsi leurs investissements et leur prise de risque.
Au tournant du XXe siècle, la concentration des entreprises reprend avec vigueur. Entre 1897 et 1904, plus de 4 200 entreprises fusionnent aux États-Unis pour former 275 groupes. Au début du XXe siècle, 320 grandes firmes contrôlent 40 % des actifs industriels. Elles utilisent notamment les holdings – des sociétés de portefeuille qui ne produisent pas de biens ou de services, mais gèrent les titres d’autres sociétés qu’elles contrôlent. Cela leur permet de contourner les lois antitrust.
Les années 1920 connaissent une concentration des entreprises verticale
Grâce à la législation antitrust, des entreprises de taille modeste peuvent contester les positions des firmes dominantes en grandissant par des fusions horizontales. Par exemple, Continental Can devient le deuxième acteur du secteur de l’emballage métallique en absorbant près de 20 entreprises.
Également, des firmes dominantes cherchent à mieux contrôler et coordonner les différents stades de leur filière via des fusions verticales. Les grandes compagnies de Hollywood, telles que MGM, Warner Brothers et Paramount, dominent rapidement le secteur du cinéma en intégrant verticalement la production, la distribution et l’exploitation de leurs films dans les salles de cinéma qu’elles possèdent.
L’apparition des conglomérats dans les années 1960
Aux États-Unis, le durcissement de la législation antitrust en 1950 avec le Celler-Kefauver Act marque le véritable début de la répression des monopoles. Cette loi rend les concentrations horizontales très difficiles, ce qui pousse les entreprises à opter pour des fusions conglomérales. Par exemple, ITT, initialement spécialisée dans la téléphonie, se diversifie en acquérant des sociétés dans les secteurs de l’assurance, de la pâte à papier, de l’hôtellerie et de l’équipement automobile. En 1950, 30 % des 500 premières entreprises américaines étaient spécialisées dans une seule activité, mais ce chiffre tombe à 8 % en 1976.
Cette diversification est facilitée par la « structure multidivisionnelle », qui permet la gestion simultanée de secteurs d’activité très variés. Pour rappel, le concept de la « firme en M » (ou firme multidivisionnelle) est un modèle organisationnel développé pour gérer de grandes entreprises diversifiées. Cette structure, souvent attribuée à Alfred Chandler, émerge en réponse à la croissance et à la diversification des entreprises au début du XXe siècle. Elle se caractérise par une organisation en divisions semi-autonomes, chacune responsable d’un produit ou d’un marché spécifique, mais sous la coordination générale du siège central.
Les avantages de la diversification pour les entreprises sont multiples
- Réduction des risques : diversifier les activités permet de réduire les risques, en particulier dans les secteurs sujets à des fluctuations conjoncturelles comme ceux liés aux ressources naturelles, où les prix peuvent varier fortement. De plus, les secteurs dits « matures », dont la technologie est largement diffusée, peuvent être menacés de déclin face à une concurrence accrue. Par exemple, l’aéronautique, le textile et l’automobile sont confrontés à une compétition internationale croissante, d’abord européenne puis japonaise, dans un monde de plus en plus globalisé.
- Utilisation des profits : les profits importants générés dans les activités d’origine peuvent financer les besoins des activités naissantes, offrant ainsi de nouveaux relais de croissance pour l’entreprise. Cette stratégie permet aux entreprises de compenser les fluctuations économiques et de se préparer à l’avenir en investissant dans des secteurs prometteurs.
Quelques données sur la situation actuelle
Au cours des vingt dernières années, la concentration de la production a augmenté dans la majorité des secteurs de l’économie américaine. Une manière simple de mesurer ce degré de concentration est d’observer la part de marché cumulée des plus grandes entreprises dans les ventes totales d’un secteur. Entre 2002 et 2012, la part de marché cumulée des huit plus grandes entreprises a augmenté dans plus de 60 % des secteurs de l’économie américaine. Ce pourcentage atteint près de 70 % lorsque l’on considère la part de marché cumulée des cinquante plus grandes entreprises.
Grullon et al. (2016) soulignent que la réglementation antitrust a été appliquée de manière trop permissive par les agences gouvernementales américaines ces dernières années. Le taux de création de nouvelles entreprises a diminué plus rapidement que le taux de destruction, ce qui suggère une contestabilité réduite des marchés. Cette tendance s’accompagne d’une baisse du taux de création de nouveaux emplois, passant de 20 % à 14 % sur la même période. Dans ce contexte, la concentration pourrait nuire à la croissance économique américaine à long terme.
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