Lionel Magnis, professeur de mathématiques approfondies à Gaston Berger (Lille), dénonce l’iniquité patente entre les deux sous-filières de mathématiques de prépa ECG sur le concours 2023. Pour ce dernier, les candidats qui ont présenté les maths approfondies aux concours BCE et ECRICOME ont été nettement défavorisés par rapport à ceux qui avaient opté pour les maths appliquées. Ce constat est d’autant plus vrai pour les étudiants dont le niveau se situe dans la moyenne. Pour autant, des propositions concrètes et simples à mettre en place existent pour rétablir l’équité entre les “appros” et les “applis” dès cette année.
Jusqu’en 2022, les étudiants s’orientaient en ECE ou ECS en fonction de leur filière au lycée.
À partir de 2023, la filière s’adapte à la réforme du lycée :
- le parcours de mathématiques ECE subit des modifications substantielles et devient « mathématiques appliquées » (appli dans la suite)
- le parcours mathématiques ECS devient « mathématiques approfondies » (appro dans la suite)
Comme les étudiants ont désormais le choix, ils vont naturellement s’orienter vers le parcours qui leur est le plus favorable, concrètement : qui maximise leurs notes aux concours.
Pour stabiliser les deux parcours, il faut donc des garanties pour que les notes d’un étudiant au concours dépendent principalement de son niveau et non pas du parcours choisi.
En 2023, ces garanties n’étaient pas en place. Il faut qu’elles le soient dès le prochain concours, sous peine de mettre en danger toute la filière.
Cette tribune a pour but :
- de faire un bilan du concours 2023, où les étudiants du parcours appro ont été défavorisés
- de proposer une solution pour garantir l’équité dès le prochain concours
Répartition du niveau de mathématiques : la rupture 2022/2023
À l’époque des filières ECE/ECS, il y avait des étudiants faibles à très bons en mathématiques dans les deux parcours, avec un niveau moyen supérieur pour la filière ECS. Schématiquement, la répartition ressemblait à ceci :
En 2023, les étudiants les plus modestes s’orientent massivement vers le parcours appli. Les étudiants les plus affûtés se répartissent entre les deux parcours. La répartition ressemblait plutôt à ceci :
Comparaison appro 2023 / ECS 2022
On considère ici les épreuves de mathématiques passées par la quasi totalité des candidats : conception EDHEC, emlyon ou Ecricome.
La moyenne au concours à ces épreuves en 2022 (en ECS) était d’environ 11/20. En 2023, la moyenne en parcours appro était aussi d’environ 11/20. Schématiquement :
La moyenne fixée par les écoles au concours n’a pas suivi la hausse du niveau des étudiants. En conséquence, les notes ont baissé de manière mécanique et artificielle.
Pour comprendre ceci, mettons nous à la place de deux étudiants qui se projetaient par rapport aux notes de l’année précédente :
– En vert : pouvait espérer 8/20 en 2022, a obtenu plutôt 3/20 en 2023.
– En orange : pouvait espérer 14/20 en 2022, a obtenu plutôt 10/20 en 2023.
De tels écarts entre résultats attendus (sur la base des promotions ECS précédentes) et résultats obtenus (promotion appro 2023) ont été signalés dans de nombreuses prépas. Sur la base de témoignages de professeurs, on note des baisses de moyenne de 3 à 4 points entre 2022 et 2023, à niveau de classe équivalent.
Bilan : les étudiants du parcours appro 2023 n’ont pas été évalués à leur juste valeur.
Comparaison appro 2023 / appli 2023
En 2023, la moyenne au concours pour le parcours appli était d’environ 10/20, contre 11/20 en appro. Cet écart est loin de compenser l’écart réel de niveau. Schématiquement :
Ceci a été particulièrement remarqué dans les prépas qui présentent les deux parcours de mathématiques. Plusieurs témoignages d’enseignants convergent. Pour résumer : les bons étudiants d’appro ont obtenu les mêmes notes que les moyens d’appli.
Et les étudiants ne sont pas dupes : à l’été 2023, nombre d’entre eux ont demandé à passer du parcours appro à appli en 2e année.
Une méthode pour garantir l’équité
Pour renforcer l’attractivité du parcours appro et garantir l’équilibre de la filière, il faut que les étudiants soient évalués à leur juste valeur, c’est-à-dire selon leur niveau, indépendamment du parcours choisi.
Nous proposons la méthode suivante, qui peut être appliquée dès le prochain concours (au moment de l’harmonisation des notes) :
1) constituer un groupe témoin qui simule des étudiants de niveaux variés. On peut par exemple prendre :
- étudiant témoin A : un professeur qui compose pendant 15 minutes
- étudiant témoin B : un professeur qui compose pendant 30 minutes
- …
2) faire composer chaque étudiant témoin sur les sujets appro et appli
3) lors de l’harmonisation des notes : faire en sorte que chaque étudiant témoin obtienne, en appli et en appro, une note similaire.
Cette méthode permet d’atténuer fortement les biais de notes entre étudiants appli/appro. Les deux principaux biais :
– différence de niveau global entre les candidats de chaque parcours
– différence de difficulté entre les épreuves de chaque parcours
ont peu d’impact. La note de chaque étudiant dépend essentiellement de son niveau parmi l’ensemble des candidats ECG.
Des conséquences discrètes sur le TOP 3
Pour finir, on explique ici pourquoi les prépas dont les étudiants intègrent massivement le TOP 3 sont, pour l’instant, peu concernées par ce phénomène.
Seule une partie des candidats se présente aux écoles du TOP 3 (environ 1/3). Or, il n’y a pas de changement majeur dans la répartition des très bons étudiants entre 2022 et 2023. Schématiquement :
Pour le dire autrement : à niveau équivalent, les étudiants de 2022 ECS et 2023 appro ont à peu près la même note, aux épreuves de mathématiques du TOP 3 (Maths 1 et Maths 2).
C’est pourquoi, le choc a été faiblement ressenti dans les toutes meilleures prépas. Mais si des mesures ne sont pas prises pour rétablir l’évaluation des étudiants appro à leur juste valeur, le déséquilibre des filières s’accentuera, et même les meilleures écoles et les meilleures prépas seront affectées.
Signataires : Raphaël Bouyrie, Camille Clochec, Christophe Courbois, Mireille De Granrut, Florence Deschemps, Christophe Fiszka, Clément Guérin, Sylvie Leleu, Lionel Magnis, Christopher Shirley, Viviane Steculorum.
