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La dissertation « Démographie et puissance »
Introduction
Le 16 janvier 2024, Emmanuel Macron défendait un « réarmement démographique », en proposant un plan de lutte contre l’infertilité et un « congé naissance » de six mois. Cette volonté d’augmenter le taux de natalité afin de restaurer « l’exception démographique française » illustre bien que la démographie, c’est-à-dire l’étude quantitative et qualitative des caractéristiques des populations et de leurs dynamiques, à partir de thèmes tels que la natalité, la fécondité, la mortalité, la nuptialité et la migration, est toujours prégnante au sein des stratégies de puissance des États.
La démographie semble en effet toujours rester au cœur de la puissance, c’est-à-dire la capacité de faire, produire ou détruire selon Raymond Aron, d’une manière certes différente de celle de l’ère préindustrielle et des débuts de l’industrie, où la relation entre le nombre d’hommes et la puissance ne se discutait pas. Aujourd’hui, une population importante reste une condition nécessaire pour être un acteur de premier plan, mais elle est loin d’être le seul facteur déterminant. Outre le nombre d’habitants, il faut considérer le capital humain qui est un facteur clé, le climat des affaires, la productivité par habitant, qui peut varier considérablement entre les pays les moins et les plus performants, avec des variations considérables entre les grands pays.
L’essor de la Chine ne s’explique pas tant par la croissance de sa population que par les progrès spectaculaires en matière d’urbanisation, de santé et de l’éducation, ainsi que de l’industrialisation et des avancées technologiques. Si la démographie conserve une importance non négligeable dans le décollage de certains émergents, les logiques de puissance sont désormais intensives en capital et en technologie, plus qu’en travail. La capacité d’innovation peut donc l’emporter sur le facteur démographique.
Enfin, la démographie est corrélée à deux phénomènes que les puissances doivent absolument contrôler, celui des migrations de population et celui des déséquilibres environnementaux.
Problématique
Est-il alors raisonnable de décorréler démographie et puissance comme on était tenté de le faire dans les années 1990, et ne doit-on pas conclure à un retour de la démographie comme facteur de puissance ?
I – Il existe un triple lien entre démographie et puissance
A. La démographie est enjeu de puissance politique et sociale
« La démographie, c’est la destinée », proclamait Auguste Comte. C’est la destinée, et c’est aussi la politique dans ses profondeurs. Elle est, selon les termes de Jean-Claude Chesnais , la « biologie des nations ». La tectonique des plaques démographique affecte aussi celle de la puissance. Elle explique certaines révolutions (Révolution française) ainsi qu’un déclin des puissances. L’historien Ibn Khaldoun en parle dès le XIVe siècle pour expliquer l’ascension et la chute des empires, tandis que le siècle des Lumières tient la croissance démographique pour un bienfait, même si ceci n’a rien d’évident, notamment en Angleterre où Thomas Robert Malthus soutient la thèse inverse.
L’accession de la Grande-Bretagne à la puissance au XIXe est liée à une forte croissance démographique, sa population passant de 11 à 37 millions entre 1800 et 1900, et générant un flux d’émigration de huit millions vers les nouveaux mondes et les colonies. En revanche, la France se trouve affaiblie par sa baisse de fécondité dès le XVIIIe siècle, ce qui donne à la fin du XIXe siècle un rapport de 15 Allemands pour 10 Français. Hantise de la France à partir des années 1870, la préoccupation de la dépopulation reste ainsi au premier plan jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale.
De son côté, l’Allemagne nazie revendique un « espace vital » (Lebensraum) pour un peuple en expansion. Le Japon, qui connaît une poussée démographique à partir de l’ère meiji (1868), développe des ambitions expansionnistes en Asie afin d’employer les forces de cette population pléthorique sur un territoire exigu, donnant même l’impression d’une guerre déclenchée du fait d’un excédent d’hommes jeunes par rapport aux capacités d’absorption de l’économie, selon la thèse de Gaston Bouthoul en 1951 .
Les pays qui disputent aux anciennes puissances la suprématie politique et militaire s’appuient sur une forte croissance démographique. La population américaine était de 9,6 millions en 1820, 76 millions à la fin du XIXe siècle, 123 millions en 1920 et de 348 millions aujourd’hui. La Russie tsariste passe de 20 à 100 millions en deux siècles. Le lien avec la puissance explique pourquoi des recensements sont truqués et réévalués à la hausse (Égypte) ou au contraire sous-évalués (Chine). Les États recourent à des démarches volontaristes pour peupler des régions ou espaces à conquérir : migrations de Chinois Han vers les confins (Xinjiang, Mongolie intérieure ou Tibet), migration des habitants de Java vers le reste de l’archipel indonésien, recours à l’immigration européenne pour peupler les États-Unis et le Canada.
La préservation de la puissance est longtemps passée par le biais démographique. Winston Churchill appelle en pleine guerre (1943) son peuple à avoir des familles plus nombreuses, tandis que le général de Gaulle voit dans la démographie un facteur de reconstruction, appelant à la production de « 12 millions de beaux bébés » après la Deuxième Guerre mondiale. Certains dirigeants répugnent à limiter les naissances (Mao Zedong jusqu’aux années 1960, l’Algérie socialiste du FLN, l’Iran nataliste de Khomeini). L’aspect militaire et stratégique est non négligeable : l’Armée rouge soviétique et l’Armée de libération populaire de Chine sont toutes deux numériquement inégalables.
B. La population est un atout économique de taille
On ne saurait bien sûr définir la puissance à l’aune de masses et la richesse ne tient pas qu’aux hommes, mais surtout à l’organisation sociale et économique d’un territoire. Toutefois, démographie et économie sont bien liées par une relation complexe et parfois positive. En effet, malgré les craintes de certains économistes face aux explosions démographiques, les prophéties pessimistes ne se sont pas vraiment réalisées, en majeure partie grâce aux révolutions vertes des années 1960.
Durant des années, les prix des matières premières n’ont cessé de décroître. Le quadruplement de la population mondiale a engendré un accroissement de la production, multipliée par 14 entre 1900 et les années 1990, tandis que le PIB/habitant a été multiplié par quatre. Cette croissance reflète les choix des modèles de développement : NPIA (Dragons, Tigres), Chine, Inde. Les pays qui ont achevé leur transition, accompagnée d’une révolution sanitaire et de l’alphabétisation des femmes, se sont engagés dans une croissance économique accélérée.
Il existe même la notion de bonus ou dividendes démographiques, qui établit un rapport entre actifs nombreux et inactifs peu nombreux, favorable à l’investissement et au dynamisme. C’est le cas pour la Turquie, les pays du Maghreb, l’Indonésie et le Vietnam. Dans le peloton de tête des dix premières puissances économiques, on trouve l’Inde, le Brésil, la Chine, le Mexique. Il paraît clair que la main-d’œuvre et le marché de consommation se révèlent être deux atouts de taille. Enfin, il ne faut pas négliger le rôle économique des diasporas.
C. Enfin, la population est un atout culturel non négligeable
La démographie affecte la puissance parce qu’elle pèse sur les systèmes de valeurs et de civilisations. Il se produit une décrue des populations chrétiennes, tandis que les populations islamisées tendent à progresser. Après avoir représenté 1/3 de la population mondiale au début du siècle, elle n’en représente plus qu’un quart. Ce qui constitue un élément d’explication des thèses alarmistes sur le choc des civilisations (Samuel Huntington).
Le monde musulman va passer de 1,6 milliard en 2010 (23,4 %) de la population mondiale à 2,2 milliards en 2030 (26,4 %) pour 13 % dans les années 1930, et a dépassé le christianisme en nombre. Le confucianisme concerne ¼ de l’humanité. L’hindouisme est stable autour de 13 % et le bouddhisme recule à 5 %. Ce qui signifie que les « civilisations » autres que chrétiennes rassemblent aujourd’hui entre 2/3 et ¾ de l’humanité. De même, les langues européennes reflètent les grandes masses démographiques. Les aires chinoise, hindie, anglophone, hispanophone sont en tête. Cependant, l’influence des langues européennes, anglais mis à part, tend à reculer.
Enfin, les pays ayant une population conséquente peuvent mener des stratégies d’influence importantes par le biais de diasporas. Le terme diaspora signifie « dispersion » à partir d’un territoire donné, et l’organisation d’une communauté répartie entre plusieurs pays, qui maintient des liens entre les groupes de par une identité, une mémoire et un héritage communs. La diaspora chinoise, commerçante et travailleuse, est composée de 50 millions d’individus essentiellement originaires du sud-est de la Chine, et qui ont migré très tôt, dès le IIIe siècle de notre ère. 70 % se trouvent en Asie du Sud-Est, mais ils sont présents dans 126 pays dont l’Europe de l’Ouest, les pays d’Afrique, le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Russie.
Ces commerçants, étudiants, hommes d’affaires et ouvriers conservent des liens puissants avec leur pays d’origine par le biais des remises de fonds. Mais elle a surtout organisé le décollage de la Chine dans les années 1980 en finançant les zones économiques spéciales (ZES) depuis Hong Kong et Taïwan. De plus, les « tortues de mer » reviennent aujourd’hui en Chine pour profiter du boom économique et constituent l’élite économique de nombreux pays d’Asie du Sud-Est. Les réseaux chinois peuvent contrôler la majorité des capitaux ( à Singapour, en Malaisie, en Thaïlande, aux Philippines, par exemple). C’est la Grande Chine et son réseau de bambous, deuxième puissance financière de l’Asie orientale après le Japon, et elle a investi 300 milliards de dollars en Chine dans les années 1990.
Les diasporas représentent des enjeux considérables du point de vue économique. Les transferts ou remises représentent probablement moins de la moitié des transferts réels, et plus que toute l’aide au développement. Mais ces diasporas sont surtout un levier d’influence d’un point de vue culturel. En effet, les diasporas représentent des caisses de résonance dans d’autres pays, ce qui permet de défendre les intérêts du pays d’origine. Les revendications politiques des Turcs, des Kurdes ou des Palestiniens se sont par exemple mieux entendues sur le plan international grâce à leurs diasporas.
II – Cependant, la corrélation entre démographie et puissance n’est nullement systématique
A. Il existe de nombreux pays puissants et peu peuplés
« Il faut des hommes pour faire une société comme il faut des pierres pour faire des palais mais la qualité d’une architecture ne dépend pas du nombre de pierres utilisées », écrit Hervé Le Bras dans L’Adieu aux masses, démographie et politique (2002). En effet, de très vastes empires, fait observer Raymond Aron, ont été bâtis par des populations numériquement limitées (Rome, les Normands ou les Mongols).
On peut aussi prendre l’exemple d’Israël qui, avec neuf millions de Juifs, tient tête à tous les pays arabes peuplés alentour (Égypte, Syrie), de Singapour, micro cité-État encastrée en Malaisie, tandis que la Chine de 500 millions d’habitants a été écrasée par l’Occident au XIXe siècle. La puissance peut être un héritage ancien, comme celle des pays d’Europe, sans que la population ne soit plus déterminante.
Enfin, certaines puissances peuvent être symboliques. C’est le cas de l’Arabie saoudite, du Vatican qui sont des leaders religieux, voire du Luxembourg et de la Suisse en matière financière.
B. Dans de nombreux pays en développement, forte croissance démographique ne rime pas avec puissance
Dans de nombreux pays en développement, une forte croissance démographique ne conduit pas nécessairement à une augmentation de puissance. Prenons le cas du Nigeria, qui a l’une des croissances démographiques les plus rapides au monde. Malgré cela, ce pays est confronté à de nombreux défis socioéconomiques tels que le chômage élevé, les inégalités économiques et l’insuffisance des infrastructures.
Le Nigeria est par ailleurs incapable de s’appuyer sur les nouvelles générations du fait du manque d’investissements dans des secteurs clés (éducation, santé publique…). Ce qui contribue à désœuvrer la majorité des jeunes et accélère leur rapprochement avec des réseaux terroristes (Boko Haram), remettant de nouveau en question la stabilité et la prospérité du pays.
De plus, une population en expansion peut exercer une pression excessive sur les ressources naturelles, entraînant une dégradation de l’environnement et des conflits pour l’accès à ces ressources. C’est pourquoi la Fondation Rockefeller, Ford, même la Banque mondiale, ou bien des chercheurs comme Anne et Paul Ehrlich plaident pour la transition démographique et la limitation des naissances afin de favoriser les conditions du développement.
Les investissements démographiques apparaissent comme des handicaps au décollage économique, générant une faiblesse de l’épargne et de la formation de capital. Le sous-développement est attribué à la surpopulation, c’est le temps de la hantise de « l’exponentielle démographique ». Les administrations américaines ont par exemple conditionné l’aide au développement à l’acceptation de programmes de limitation des naissances. Par conséquent, des pays pratiquent tôt la limitation des naissances : l’Inde de Nehru met en œuvre cette politique avec l’aide des Nations unies à partir de 1952. Une vingtaine de pays suivent, tandis que les États socialistes y sont généralement hostiles.
C. Une croissance démographique mal gérée peut être un frein à la croissance économique, soulignant l’importance des « investissements démographiques »
Dans les années 1990, certains observateurs commencent à prédire qu’avec la raréfaction des ressources, les conflits armés trouveraient leur source dans la lutte pour l’appropriation de celles-ci. Même si cette prophétie ne s’est pas réalisée pour le moment, on peut aisément comprendre que les tensions sociales, forte proportion de jeunes au chômage, urbanisation, migrations, peuvent générer des conflits. La surpopulation de la bande de Gaza est en soi une source de tensions.
Selon certaines prévisions, en 2050, sur le continent africain, plus de 33 milliards de jeunes arriveront sur le marché du travail. La pression qui pèse alors sur des économies fragiles et aux systèmes de protection et d’éducation rudimentaires peut créer un terreau favorable à la révolte (révoltes interethniques en Côte d’Ivoire, au Kenya, en RDC), l’exutoire étant représenté par l’émigration.
À l’inverse, l’exemple de populations contrôlées comme à Taïwan ou en Corée du Sud montre qu’il est tout à fait possible de concilier croissance démographique et économique, à condition de réaliser des investissements permettant d’exploiter le potentiel d’un accroissement démographique. Il faut toutefois faire une place au vieillissement des populations qui peut aussi devenir un sérieux problème pour les États. On peut le constater avec les exemples de la Chine et du Japon, autrefois surpeuplés, ou encore avec certains pays européens, comme l’Allemagne (très peuplée au XIXe siècle) et l’Italie.
Conclusion
Malgré les changements intervenus dans la perception et la réalité de la puissance dans la mondialisation, la démographie reste bien la destinée d’un pays, selon les mots d’Auguste Comte, non pas forcément en nombre, bien qu’on observe que le phénomène de l’émergence reste souvent corrélé à une population nombreuse et dynamique, mais parce que la démographie est aussi l’étude des investissements au service de la population et des dividendes qu’un État peut en tirer.
À ce titre, il semble clair qu’un des principaux enjeux de la puissance est aujourd’hui le rapport qui existe entre le nombre et la qualité des investissements, dans un monde où l’éducation et le contrôle de la démographie sont des carburants de la puissance.