Caraïbes

La région des Caraïbes est d’abord caractérisée par une délimitation imprécise. Par Caraïbes, on désigne généralement la mer des Caraïbes ainsi que ses îles (plus de 700) et les côtes environnantes (Yucatan, Nicaragua, Colombie…). Par extension, on peut inclure le golfe du Mexique et les littoraux américains qui le bordent (Floride, Louisiane). Cet espace, étalé sur près de 3 000 km, est caractérisé par l’insularité ou la péninsularité, ainsi que par un milieu tropical. Il est particulièrement sujet aux catastrophes naturelles (cyclones, tremblements de terre, éruptions volcaniques), avec notamment 10 volcans encore actifs dans les Petites Antilles (longue chaîne d’îles).

 

Une région de migrations

Les pays des Caraïbes ont un passé similaire du fait des conquêtes, de la colonisation et de l’esclavage. Ils furent au cœur du commerce triangulaire et de la traite transatlantique du XVIIe au XIXe siècle. Si cette époque correspond à une première immigration, les dynamiques ont bien changé au cours du XXe siècle pour prendre la forme d’une émigration de masse dès la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd’hui, plus de six millions de Caribéens vivent hors de leur pays d’origine. Par exemple, pas moins de 800 000 Cubains vivent à Miami, soit presque 1/11e du nombre d’habitants à Cuba. L’émigration se réalise principalement à destination des États-Unis, du Canada et de l’Europe.

À signaler, les premiers réfugiés climatiques à partir de 2017, suite aux cyclones (notamment à Porto Rico), phénomène s’ajoutant à la caravane des migrants/caravane de la misère en Amérique centrale depuis le Venezuela. Les migrations clandestines (vers les États-Unis) constituent un sujet brûlant.

 

Une région fragmentée

Si ces facteurs très négatifs impactent de près ou de loin l’ensemble de la région, elle n’en demeure pas moins fragmentée :

  • Diversité des régimes politiques : huit monarchies constitutionnelles, 14 Républiques, régions et départements français de l’outre-mer, état libre associé aux États-Unis (Porto Rico), etc.
  • Diversité des langues : 21 millions de locuteurs espagnols, 6 millions de francophones, 6 millions d’anglophones, 700 000 néerlandais, créole et langues autochtones.
  • Fragmentation démographique et géographique : petites îles (notamment dans les Petites Antilles) vs Cuba, Haïti, République dominicaine. Présence aussi de grands États (exemple : Colombie – 49 millions d’habitants).
  • Inégalités socioéconomiques : la Floride, le Texas et la Louisiane représentent 50 % du PIB régional, et les îles, 7 %. Par ailleurs, 2/3 des pays sont classés en dessous de Cuba (83e) en termes d’IDH, dont Haïti en dernière place.
  • Faiblesse des réseaux : les vols entre les îles sont encore compliqués. Les États-Unis (notamment Miami) font donc office de hub pour diverses connexions.

 

Une région sous influence

La proximité des Caraïbes avec les États-Unis a bien évidemment soulevé des questions d’influence et d’appropriation. Denise Artaud, dans Les États-Unis et leur arrière-cour (1995), utilise l’expression « arrière-cour » pour désigner l’Amérique centrale et les Caraïbes. La mer des Caraïbes est d’ailleurs surnommée « la Méditerranée américaine » ou encore « le lac étasunien ».

La doctrine Monroe de 1823 fait de cette zone une « chasse gardée » américaine. En 1904, le corollaire Roosevelt vient compléter cette doctrine pour justifier l’expansion américaine vers l’Amérique latine. Dans les années 1900, une République bananière se met en place dans de nombreux pays sous le contrôle de multinationales agroalimentaires américaines comme la United Fruit Company.

Plus encore, de 1914 à 1999, les États-Unis prennent le contrôle du canal de Panama. Face à cette volonté de contrôle régional, la crise de Cuba en 1962 est une péripétie majeure, conduisant à un boycott puissant de l’île. Si, en 2014, Barack Obama entreprend une ouverture vers Cuba, Donald Trump la rejette finalement en 2018. Cuba reste le principal rival des États-Unis dans la région, avec le Venezuela.

Les États-Unis invoquent la Destinée manifeste (mission « divine » d’expansion de la civilisation) pour obtenir la mainmise sur la région en se proclamant bienfaiteurs et garants de la paix. Cela se traduit par un nombre impressionnant d’interventions militaires dans la zone caraïbe au cours du XXe siècle : 1894 (Nicaragua), 1898 (Cuba, Porto Rico), 1903 (Panama, République dominicaine), 1906-1909 (Cuba), 1909 (Honduras), 1910-1913 (Nicaragua), 1914-1934 (Haïti), 1954 (Guatemala)…

Thèse : Romain Cruz (géographe français), dans Géopolitique d’une périphérisation du bassin caribéen (2011), montre la périphérisation de ce bassin au profit du centre que représentent les États-Unis.

 

Des ambitions fédératrices

Afin de peser face à l’influence des États-Unis et faire entendre une voix à l’échelle mondiale, de nombreuses tentatives de fédérations ont vu le jour dans le bassin caribéen depuis 1973. Toutefois, certaines de ces intégrations ont été incitées, voire construites par les Américains pour conserver une mainmise sur la région ou s’assurer l’accès aux marchés, pour l’exportation par exemple.

Ces projets de fédération raniment des rivalités fortes et fragmentent la zone, entre pro et anti-américains. Voici les principales étapes :

  • 1973 : Communauté des CaraïbesMarché commun avec 15 pays et territoires associés.
  • 1983 : Initiative du bassin des Caraïbes (IBC). Initiative américaine pour 24 pays des Caraïbes (excluant Cuba, Nicaragua, Porto Rico et Colombie) pour lutter contre l’influence communiste.
  • Années 2000 : Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Projet américain d’une communauté économique à l’échelle du continent. Elle doit exclure Cuba, l’outre-mer française, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Elle rencontre l’opposition des pays membres du Mercosur, des partis politiques de gauche et des pays de l’ALBA (née en 2004).
  • 2004 : Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA). Coopération (d’abord économique) réunissant 11 pays, dont le Venezuela et Cuba, en réaction aux projets de libre-échange poussés par les États-Unis.
  • 2009 : Accord de libre-échange d’Amérique centrale (ALEAC) entre les États-Unis et six pays d’Amérique centrale.

 

Géoéconomie de la région

L’intégration économique de la région demeure faible à cause d’une faible complémentarité (les îles produisent les mêmes produits) et du fractionnement géographique. Ainsi, les échanges intrarégionaux ne dépassent pas 10 %. À signaler, la drogue représente 10 à 15 % du PIB régional et jusqu’à 50 % dans des petites villes. Le trafic de stupéfiants est un réel enjeu, d’autant plus qu’on ne peut nier des retombées positives sur l’économie.

Thèse : Selon Éric Lambourdière, dans Les Caraïbes dans la géopolitique de l’espace mondial (2007), à l’ère de la mondialisation contemporaine, le bassin caribéen est à la périphérie des réseaux à forte valeur ajoutée et des chaînes de valeur globales.

 

« Une autre Caraïbe »

Toutefois, à ces zones des Caraïbes en difficulté, on peut opposer « une autre Caraïbe » faisant preuve d’une capacité d’adaptation à la mondialisation sans pour autant s’insérer dans des réseaux illicites de flux matériels et immatériels.

La difficulté globale s’explique par un manque de ressources naturelles en mer des Caraïbes, qu’il s’agisse de ressources offshore ou halieutiques (vivantes aquatiques). Les principales ressources, bien que rares, sont le pétrole (Venezuela, Trinité-et-Tobago, Colombie, Cuba) et le gaz (Venezuela et Trinité-et-Tobago). Le Venezuela, huitième mondial pour les ressources en gaz prouvées et deuxième mondial en ressources pétrolières, peut donc davantage s’appuyer sur l’export, les investissements étrangers, que les pays voisins. 

Le poisson est rare en mer des Caraïbes, privant la pêche d’être un levier de croissance et la poussant vers le déclin. Face à ce manque, la pêche clandestine est d’autant plus néfaste. De plus, bien que le sol de la mer des Caraïbes soit riche en nodules polymétalliques, le coût de l’exploitation rend celle-ci impossible.

Concernant les routes maritimes, la mer des Caraïbes est un nœud secondaire des grandes routes et bénéficie des axes maritimes américains (à destination de Houston, Miami, Corpus Christi), liés à l’acheminement du pétrole en provenance du Moyen-Orient, d’Afrique de l’Ouest et du Venezuela. Différents points stratégiques sont situés dans la région : canal de Panama, canal du Yucatan ou encore détroit de Floride. La présence militaire américaine atteste de l’intérêt stratégique de ces zones. La piraterie reste un défi majeur dans cette région de flux.

 

Étude de cas : le canal de Panama

Histoire : en 1903, Panama est sous domination américaine en vue du percement d’un canal. De 1914 à 1999, celui-ci est donc géré par les États-Unis. À partir de 1999, le canal passe sous le contrôle de l’État panaméen (en vertu d’un traité de 1977). En 2016, le canal est élargi. Le canal de Panama est une zone neutre internationale aujourd’hui. Très utilisé militairement durant la guerre du Vietnam, il est désormais à vocation économique.

Rôle : 14 000 navires empruntent le canal chaque année, et c’est par ce dernier que transite 69 % du commerce entre les côtes Ouest et Est des États-Unis. Le canal représente 10 % des revenus de l’État panaméen. La Chine est son deuxième utilisateur. Toutefois, la Chine a financé un projet concurrent à partir de 2014 : le canal du Nicaragua (projet à 50 milliards de dollars). La raison du projet était essentiellement politique et celui-ci a été abandonné en 2018 à cause de difficultés financières. Les contestations, écologiques et sociales, s’étaient également montrées vives.

 

La Chine, nouvel acteur dans la région

La Chine pourrait tenter de jouer un jeu de « mer de Chine du Sud inversée » (Andrew Korybko). Ceci consiste à gêner les États-Unis sur leur propre terrain et les pousser à mener des actions qui feraient plus de tort que de bien à leur statut et/ou image d’hégémonie régionale. En effet, aucune de ces deux grandes puissances n’apprécie de voir ses rivaux exercer une quelconque influence sans son pré carré. Toutefois, la Chine reste limitée par sa présence militaire inexistante dans la région des Caraïbes. 

La Chine s’attache plutôt à coopérer avec les institutions régionales et à développer ses relations économiques. En 2016, un document politique chinois sur l’Amérique latine et les Caraïbes est réalisé. En 2018 puis 2021, un deuxième puis troisième forum Chine-CELAC a lieu, pour intégrer les pays de la CELAC (Communauté d’États latino-américains et Caraïbes) dans le projet BRI des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative). Nul doute que la Chine, par cette approche, parviendra à développer son influence dans la région des Caraïbes considérée comme stratégique.

 

Découvre également cet article sur l’Amérique latine dans la mondialisation et ce sujet corrigé sur l’espace caraïbe. N’hésite pas à consulter toutes nos ressources de géopolitique.