Ségolène Royal a-t-elle eu raison de louer le bilan de Fidel Castro ? Le personnage, initiateur de la Révolution cubaine de 1959 et aux manettes de l’île de 1959 à 2008, laisse derrière lui un bilan contrasté. Loué par d’importantes personnalités politiques qui se reconnaissent dans ses principes anti-impérialistes ou anticapitalistes, de Soekarno à Hugo Chavez, il s’est aussi attiré les foudres de la communauté internationale à cause du contrôle qu’il exerçait sur la population et de la gestion économique utopique du pays. Les premières années du régime communiste, très intenses en terme de changement, ont permis d’asseoir le nouveau système. Mais la récente mort de Fidel ainsi que les différentes difficultés de l’ile conduisent inexorablement le régime vers l’ouverture, déjà entamée par Raúl Castro. Retour sur 57 ans de pouvoir, d’utopie et d’exploits.
La Révolution de 1959
À l’été 1953, Fidel Castro avec quelques autres jeunes tentent un coup d’État contre le dictateur cubain Batista. Il est avorté, et Fidel est emprisonné avant d’être libéré et de s’exiler au Mexique où il rencontrera Che Guevara. En 1956, une petite troupe de révolutionnaires avec à leur tête Fidel et le Che débarque à Cuba et se cache dans le massif montagneux de la Sierra Maestra, afin d’y poser les bases de la guérilla rurale. Progressivement, cette dernière gagne en importance et acquiert le soutien de la population. Après 25 mois de combats contre les forces gouvernementales de Batista, le régime s’effondre et Fidel Castro entre à La Havane en héros de la Révolution. Commence alors une série de réformes drastiques pour asseoir le nouveau régime, s’assurer le contrôle de la population et faire prospérer les idéaux révolutionnaires.
Contrôle et répressions
Ces deux s’accélèrent à partir de la prise de pouvoir et vont perdurer jusqu’à l’arrivée du frère de Fidel, Raúl Castro. La presse est soudainement muselée : alors qu’il y avait 58 journaux en 1958, il n’en existe plus que 3 aujourd’hui, tous surveillés par l’appareil étatique et contrôlés par des proches du régime. Et le pays, malgré la mondialisation, a encore peu accès aux bénéfices de l’ouverture (seulement 2% de la population a accès à Internet). La réalité du régime répressif se fait sentir au quotidien pour une population qui avait pourtant soutenu la Révolution : les Comités de Défense de la Révolution (CDR) sont des bureaux locaux organisés en réseau chargés de s’assurer de la pérennité de la révolution et de détecter les contre-révolutionnaires. Comme en URSS, la délation est encouragée et il existe aujourd’hui 450 000 CDR pour près de 11 millions de cubains. La répression politique est aussi quotidienne : environ 100 000 personnes ont connu les camps d’enfermement politiques sous Castro et 4 300 furent fusillées, suite à des procès dit-on arbitraires ou des procédures bâclées. Fidèle au principe d’athéisme voulu par la doctrine communiste, le régime proscrit progressivement le culte religieux et la tradition catholique héritée de la culture hispanique s’estompe petit à petit. Des ecclésiastiques ainsi que des homosexuels sont régulièrement incarcérés.
Une gestion anarchique de l’économie
L’État prend le contrôle général de l’économie : nationalisations de la très grande majorité des entreprises, collectivisation de la moitié des terres de l’île, centralisation politique, bureaucratie invasive mais basée sur le principe de pure égalité entre les citoyens. Ce système qui encourage peu l’initiative privée présente de nombreux défauts et blocages. Des obligations sont imposées à tous les habitants, comme aller travailler ou étudier 15 jours à la campagne. Le système économique se développe peu malgré les 100 milliards de dollars d’aide soviétique fournie entre 1961 et 1991. La chute de l’URSS et la fin de ces aides incite Fidel Castro a engagé une ouverture progressive de l’économie dans les années 1990 : ouverture au tourisme, libéralisation d’une centaine de professions, création de marchés paysans,… Malgré ces efforts, Cuba (sur)vit grâce aux aides vénézuéliennes, brésiliennes et chinoises, du fait de la proximité idéologique entre les autorités de ces pays (Chavez, Lula, Castro,…) Cette collectivisation a sévèrement détérioré la productivité et l’indépendance agricole du pays : aujourd’hui, Cuba importe 84% des aliments qu’il consomme alors qu’en 1958, il produisait 80% de la nourriture consommée sur le territoire.
Conditions de vie : un bilan mitigé
La perfusion soviétique au début du régime permet à ce dernier de financer d’ambitieux projets sociaux qui se révèleront être des succès : l’analphabétisme passe de 22% en 1958 à quasiment 0% à la fin de l’année 1961, suite à l’envoi d’un grand nombre d’instituteurs dans les campagnes. Cuba peut aussi se vanter d’avoir développé une couverture médicale gratuite et universelle, et d’avoir maintenu la réputation d’une médecine cubaine d’excellente qualité (de nombreux médecins ont été envoyés chez des pays alliés, comme en Algérie ou au Venezuela). D’autres indicateurs sont en revanche plus alarmants : le taux de mortalité infantile s’est détérioré alors qu’il était le meilleur de la région en 1958, la bureaucratie pesante et l’omniprésente de l’État encouragent le marché noir (30% de la production est volée), la prostitution a explosé et le virage des années 1990 a surtout profité à une minorité rentière proche du régime…
La naissance d’une communauté cubaine anticastriste à l’étranger
La réalité du régime cubain a encouragé de nombreuses personnes à fuir l’île pourtant étroitement surveillée par les autorités pour éviter une émigration trop importante. Cette émigration est massive, interdite par la loi, régulière et risquée car les fuyards sont traqués et souvent tués. En juillet 1994, 30 000 Cubains essayèrent de quitter l’île pour les Etats-Unis via des bateaux, pourchassés par les hélicoptères de l’armée. Entre 1965 et 1971, les Etats-Unis font une exception à l’embargo (qui interdit à toute entreprise américaine de commercer avec Cuba) et établissent un pont aérien entre la Floride et Cuba pour que les émigrés cubains rejoignent le territoire américain. Ces « Freedom Flights » ont transporté environ 250 000 personnes sur toute cette période (soit 114 personnes par jour). La Floride a été le terreau de la résistance cubaine anticastriste, et a vu l’émergence de différentes organisations, de résistants armés impliqués dans le débarquement de la Baie de Cochons ou de lobbys politiques.
Les relations tendues avec les Etats-Unis
Les Etats-Unis ont vu d’un mauvais œil le renversement de leur protégé Batista par un militant proche des idéaux communistes, et bientôt allié de l’URSS. Cette dernière entente va définitivement faire de Cuba un ennemi idéologique dont la proximité géographique avec le territoire américain est intolérable en pleine Guerre Froide. Plusieurs tentatives ont lieu pour tuer ou renverser Castro, qui par sa persévérance aura constamment humilier la CIA : 638 tentatives d’assassinats, introduction de maladie sur l’île pour saper l’économie (peste porcine), débarquement avorté de la baie des Cochons… Cette attaque a lieu en avril 1961 : 1500 exilés Cubains financés et entrainés par la CIA débarque dans cette baie, la riposte ne se fait pas tarder, mais le président Kennedy refuse d’engager officiellement l’aviation américaine ce qui signe la fin des combats. Suite à cette bataille et après la crise des missiles de 1962, un embargo commercial est décrété par J. F. Kennedy en février 1963 pour asphyxier l’économie. Ce n’est que maintenant que les EU commencent à lever cet embargo.
Cuba dans le monde
Cuba a maintenu des relations cordiales avec certains pays dont il partage certains principes : anti-impérialisme, internationalisme,… La fin du régime soviétique a encouragé Cuba à aller chercher ses financements au Venezuela d’Hugo Chavez, ainsi que du pétrole en échange du savoir-faire médical. Dans les années 1960, Cuba a aidé et financé des forces révolutionnaires acquises à la cause communiste partout dans le monde (Bolivie, Congo,…). La plus grande intervention cubaine reste le soutien militaire aux forces du Mouvement Populaire de libération de l’Angola (MPLA, aussi appuyé par l’URSS) lors de la guerre civile en Angola à la fin des années 1970. Près de 300 000 soldats cubains ont participé à cette opération qui aboutira sur un retrait des forces de Fidel en 1988.
En conclusion, Cuba reste pour certains un symbole fort de la lutte contre l’hégémonie américaine : sa capacité à résister à un ennemi idéologique si puissant et si proche a fait de la petite île un exemple pour ceux qui prétendent suivre le même chemin. En revanche, cette réputation a perduré grâce à un système totalitaire fermé et répressif, instauré de 1959 à la période spéciale d’aujourd’hui. Si Raúl Castro semble avoir opté pour la voie de l’ouverture, beaucoup reste encore à faire.