La protection sociale est-elle nécessaire ?

La répartition primaire des revenus aboutit à des inégalités, et surtout elle ignore les individus qui ne perçoivent aucun de ces revenus (celles et ceux qui n’ont ni travail, ni capital, de manière ponctuelle – maladie par exemple, ou permanente). C’est là que peut intervenir la notion de protection sociale.

Sans travail et/ou sans capital, point de revenus… sauf à compter sur les « transferts volontaires » et donc aléatoires sous forme de don, d’entraide. C’est d’ailleurs ce qui se produit dans les pays qui laissent « l’initiative privée » prendre en charge ces transferts, comme en Grande-Bretagne où les organisations à but non lucratif compensent en partie l’insuffisance de l’intervention publique. En France, grâce aux prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales), ces transferts sont en grande partie organisés collectivement par les pouvoirs publics et les organismes sociaux, même si les associations jouent un rôle très important, en particulier dans l’intervention d’urgence ou contre l’exclusion.

Bien sûr, on peut discuter du niveau de ces prélèvements obligatoires, souvent jugé trop élevé : pour 2019, cela a représenté en France 44,1 % du PIB ; mais ne perdons jamais de vue que ce sont ces prélèvements qui permettent les dépenses publiques (construction d’équipements collectifs, mise à disposition de services publics gratuits ou à des prix très bas), ainsi que la redistribution qui permet à de très nombreuses personnes d’avoir tout simplement un revenu.

L’organisation de la protection sociale en France

La protection sociale en France est assurée de deux manières :

  • par les organismes sociaux (caisses d’assurance maladie, vieillesse, ASSEDIC…), qui versent des prestations (ou allocations) basées sur des cotisations préalables : c’est le principe dit d’assurance
  • par les pouvoirs publics, nationaux et locaux : c’est le principe de solidarité, qui a pour objectif d’assurer à chacun la satisfaction de « besoins incompressibles » : il se traduit par des prestations versées sans cotisation préalable (minima sociaux, aides municipales…) et est financé par les impôts.

À l’origine (1945), le système de protection sociale en France reposait quasi exclusivement sur le principe d’assurance, financé par les cotisations sociales des salariés et des employeurs. Dès le milieu des années 1970, avec en particulier la montée du chômage, le nombre de personnes non couvertes par ce système a augmenté. Il a donc fallu que l’Etat intervienne pour prendre en charge certaines prestations sociales. Aujourd’hui, le système français est mixte, reposant encore largement sur les cotisations sociales, mais financé de plus en plus par les impôts, ainsi que par des participations individuelles des bénéficiaires (franchises médicales…).

Les réformes nécessaires pour une protection sociale efficace

En fait de réformes, largement marquées par la pensée libérale, il s’est agi jusque là de chercher à diminuer les dépenses (donc les prestations), et augmenter les cotisations (principalement celles des salariés).

L’assurance maladie

De « réformes » en « plans de redressement », on ne compte plus les mesures prises pour tenter de diminuer le déficit de l’assurance maladie :

  • incitation à une « meilleure gestion » des établissements hospitaliers (en fait à diminuer les

dépenses…)

  • participation croissante des patients (franchises médicales, forfait hospitalier, déremboursements de médicaments…)
  • augmentation de certaines cotisations (par exemple de la CSG pour les retraités imposables en 2004). II faut constater que l’essentiel des efforts repose sur les ménages, alors que les entreprises et les professionnels de santé (médecins libéraux en particulier) sont plutôt épargnés. En 2004, une « nouvelle gouvernance » de l’assurance maladie a été mise en place, avec de nouvelles institutions (Haute Autorité de Santé, Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie) chargées de coordonner, concerter, proposer, etc. Au vu des rapports d’activité de ces instances ,leurs orientations vont toujours dans le même sens.

Les retraites

Le système des retraites aujourd’hui en France est encore très largement un système par répartition, qui utilise les cotisations sur les salaires des actifs d’aujourd’hui pour payer les pensions des retraités d’aujourd’hui (solidarité intergénérationnelle).

Le système par capitalisation – fonds de pension dans les pays anglo-saxons ou épargne salariale en France – s’appuie sur une épargne individuelle (j’épargne aujourd’hui pour ma retraite future).

Le « problème des retraites » paraît relever du bon sens : s’il y a moins d’actifs (chômage, moins de jeunes au travail…) et plus de retraités (et qui vivent plus longtemps…), alors la retraite par répartition risque de ne plus fonctionner. D’où les différentes « réformes », allant toujours dans le même sens : cotiser plus et/ou plus longtemps pour percevoir moins…

Petite chronologie à connaître :

  • allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein : secteur privé

(1993), puis secteur public et privé (2003) ;

  • changement de la base de calcul des pensions : secteur privé (1993), puis secteur public (2003) ;

mise en place de l’épargne salariale (2001) ;

  • recul de l’âge légal de la retraite à 62 ans (2010)

Vers un workfare à la française ?

Le terme « workfare » a été construit à partir de « work » et « welfare » : il désigne une évolution des politiques d’assistance sociale d’une relation « assistancielle » à une relation « d’obligations réciproques » : « le couplage de l’assistance sociale et d’une démarche d’intégration à l’emploi en est la forme la plus usuelle ».

Cette tendance est liée au raisonnement néo-classique, en termes de prix et d’égoïsme individuel : les agents économiques étant « rationnels », ils sont supposés agir en fonction de leur intérêt personnel immédiat, exprimé en termes monétaires. Dans ce cadre, on considère que les cotisations sociales freinent l’embauche, que l’impôt sur le revenu pénalise les plus « performants », que le système d’indemnisation du chômage par exemple décourage le retour à l’emploi.

Ne serait-il pas temps de repenser notre rapport au travail et à la protection sociale ?

C’est l’enjeu du débat autour du « revenu universel », débat complexe car il existe des approches très différentes, certaines très libérales – un revenu minimum qui remplacerait toutes les prestations sociales – d’autres plus élaborées – un revenu de base inconditionnel loin d’être seulement une utopie… voire un salaire universel comme le prône Bernard Friot.

Des expériences ont été menées à différentes échelles et dans différents pays… les freins essentiels semblent bien se situer en partie au niveau du financement, mais surtout dans les mentalités, notre « culture occidentale » ne parvenant que très difficilement à accepter de déconnecter le revenu du travail… en tout cas pour celles et ceux qui ne perçoivent pas de dividendes.